Geneviève Fioraso, la toute nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche était précédemment députée de l’Isère et membre du Parti Socialiste. Très active dans la défense de la filière photovoltaïque, elle a reçu Plein Soleil, en novembre dernier, dans ses bureaux de l’Assemblée Nationale, pour évoquer les difficultés de Photowatt mais aussi dévoiler ses idées et propositions pour relancer la filière du photovoltaïque. Au ministère de la recherche elle jouera un rôle essentiel dans la relance de la politique de soutien aux énergies renouvelables, dont l’avenir passe par obligatoirement par l’innovation. Interview !
Plein Soleil : Vous êtes proche de François Hollande et particulièrement influente dans le domaine de l’énergie. Si le PS prend le pouvoir, quels seront les orientations de la politique énergétique française ?
Geneviève Fioraso : Tout d’abord et dans un premier temps, faire des économies d’énergie et avoir une vraie politique de mise en efficacité énergétique des bâtiments, et en particulier des logements sociaux anciens et copropriétés anciennes. Il est indispensable de favoriser les nouveaux usages. Nous pouvons ainsi gagner des euros sur les charges, sur l’utilisation des énergies vertueuses, et décaler les activités pour une consommation raisonnée en fonction des horaires de pointe. Le premier mot d’ordre est donc : Economise d’énergie. Nous avons d’ailleurs un accord avec Négawatt là -dessus.
PS: Et côté production d’énergie ?
GF : Nous allons diversifier le mix énergétique. Nous comptons développer massivement les énergies renouvelables : la biomasse, le photovoltaïque, la pile à combustible capable de stocker de l’énergie, contrairement aux autres énergies renouvelables et l’éolien offshore. Nous allons également consacrer aux renouvelables une partie des crédits aujourd’hui réservés au nucléaire, ce que Nicolas Sarkozy avait annoncé et qu’il n’a pas fait. Nous devons également nous inspirer de ce qui se passe chez nos voisins comme en Italie qui soutient sa filière solaire en établissant une prime par rapport au tarif de rachat de l’électricité. Le gouvernement italien majore de 10% le tarif d’achat, quand au moins 60% des installations sont certifiées d’origine européenne. Sans oublier d’instaurer une écotaxe sur les panneaux provenant hors de l’Europe, afin d’éviter l’importation massive de panneaux chinois. Enfin, nous favoriserons les financements des entreprises du secteur, dont le contenu technique est avancé, et pour lesquelles il existe une plus-value technique avérée. La France aurait ainsi une longueur d’avance technique sur l’Asie (Chine, Corée).
Que font les acteurs du CAC 40 pour le solaire ?
PS : Nos champions internationaux de l’énergie et de l’industrie semblent absents du débat solaire en France. N’est-ce pas dommageable ?
GF : Vous avez raison de souligner ce point très important. Il faut inciter un grand groupe énergétique à structurer la filière photovoltaïque française. C’est une filière faite de PME et PMI, décentralisée, qu’il faut structurer et rassembler autour d’un leader. Ce ne sera pas EDF EN. La société a été rachetée par Pâris Mouratoglou mais on ne sait pas vraiment pourquoi. Est-ce pour pousser la filière ou pour la neutraliser ? Areva se positionne comme le leader industriel potentiel du secteur de l’éolien offshore. Dans le domaine du photovoltaïque, aucun grand groupe français ne veut jouer ce rôle. Total a fait le choix d’acquérir la société américaine SunPower qui possède une technologie particulièrement performante. Saint-Gobain aurait pu également jouer ce rôle, mais l’opportunité de s’allier à EDF-ENR a été manquée. Lors d’une réunion organisée conjointement par la Commission des affaires économiques et la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale en 2010, -durant laquelle Saint-Gobain Solar, EDF, GDF Suez, Areva, Total étaient présents, et en parallèle de la commission Charpin-, j’ai posé la question à Fabrice Didier, directeur général de Saint-Gobain Solar, concernant cette éventualité pour sa société.
PS : Quelle fut sa réponse ?
GF : Il nous a confié que le dossier France du groupe était prêt qu’il aimerait investir dans notre pays. Mais Voilà quel était en substance son argumentaire : « En France, tout reste extrêmement compliqué. Il n’y a qu’à voir les délais d’acceptation : en Allemagne, lorsque vous faites une demande, l’opérateur électricien a l’obligation de l’accepter dans les quinze jours ! Nous avons donc une confiance dans le fait que le marché allemand continue à se développer. D’aucuns pensent qu’il baissera en 2011, mais je pense, compte tenu du potentiel de réduction des coûts, qu’il peut continuer à progresser de façon massive. Pour investir en France, c’est une vision à long terme du photovoltaïque qu’il nous faut ». Ils n’investissent donc pas en France car il n’y a aucune vision stratégique ! En Allemagne, c’est simple, il y a une acceptabilité et la dégressivité a été progressive, annoncée, au fur et à mesure que la puissance installée était critique, on a diminué le tarif de rachat, lorsque la filière pouvait vivre d’elle-même. Il y a donc une grande visibilité, une transparence. En France, il y a eu un yoyo démentiel sur les tarifs, sans aucune dégressivité, pour permettre aux entreprises de se relever. Rien n’a été organisé : on a accumulé toutes les bêtises possibles !
« Il faut absolument un repreneur pour Photowatt »
PS : Le gouvernement n’a pas été à la hauteur ?
GF : Une hyper-spéculation a été observée, et constatée par les ministres lors d’une audition en 2009. Le gouvernement avait la liste des spéculateurs : il s’agissait de boites financières -dont la moitié était à Neuilly-, qui vendaient des fermes solaires à des agriculteurs hollandais. Au lieu de les réprimer, et de mettre en place une certification sur la maintenance, sur la faculté de recyclage, le cout de carbone du transport (pour avoir des panneaux français !), on n’a rien fait du tout en matière de normes, alors qu’on en avait les moyens. On a laissé courir la spéculation, jusqu’en 2010 : puis le moratoire brutal a eu lieu, fatal à de nombreuses PME, qui n’ont pas pu compenser leur déficit.
PS : Et aujourd’hui ?
GF : Les boites vivent sur leur inertie d’avant-moratoire aujourd’hui, mais commencent à péricliter : il y aura une purge énorme en 2012. Quand j’entends des députés me dire : « Il n’y a plus de filière PV en France, elle est sinistrée » Mais, la faute à qui ?! Il y a des gens derrière cette filière, des emplois, des personnes qui sont là depuis trente ans, qu’on ne peut pas recycler ailleurs, comme chez Photowatt.
PS : Justement, concernant Photowatt, combien d’emplois sont impactés par le dépôt de bilan ?
GF : Photowatt comptait jusqu’à 700 personnes employées ; aujourd’hui 450 personnes sont officiellement en « chômage technique ».150 emplois vont pouvoir être recyclés dans PV Alliance et le programme de recherche avec le CEA.
PS : PV Alliance survivra-t-il au dépôt de bilan de Photowatt ?
GF : PV Alliance va pouvoir continuer et heureusement ! Nous avons énormément investi dans ce groupement : le conseil général de l’Isère, la région Rhône Alpes, et même l’Etat. Il va rester 300 emplois à PV Alliance. Pour Photowatt, le redressement judiciaire est en cours et le mandataire dispose de six mois pour trouver une solution. Il faut absolument un repreneur d’ici là , ils sont en train d’en rechercher. Mais tout ceci est vraiment un gâchis phénoménal !
« Poursuivre la recherche »
PS : Quelles sont les mesures d’urgence à prendre ?
GF : Les ministres actuels ont fixé des objectifs de puissance installée trop faibles. Ils affirment que nous ne sommes en rien en retard par rapport au Grenelle, mais c’est faux ! Les objectifs du Grenelle ne seront atteints qu’à 65% en 2020, si la trajectoire actuelle n’est pas modifiée. De plus, lors du Grenelle, la France ne partait de rien, donc on est à 100% d’augmentation, forcément !
PS : Mais cela paraît aberrant pourquoi alors le Grenelle n’a pas fixé d’objectifs plus élevés selon vous ?
GF : Car il n’y a pas eu de réflexion profonde sur une filière photovoltaïque, sur comment la mener de manière durable et efficace ! C’est simple, comparons les objectifs de puissance à installer entre la France et l’Allemagne pour 2020 : France 5800 MW, Allemagne : 68 000MW. Pour créer une vraie filière, il faudrait viser au moins 10/15000 MW en France.
PS : Concernant les tarifs d’achat, le système d’appels d’offres, etc., que compte changer ou conserver le Parti Socialiste, s’il est élu ?
GF : On refera une vraie concertation, pas la pseudo-concertation faite par Charpin l’an dernier. Nous serons vigilants pour ne pas engranger de spéculation, donc nous ne poserons pas un tarif trop haut. Il faudra avoir une dégressivité du tarif réfléchie, anticipée ; avoir des panneaux français et pousser la recherche en France ! On a une expertise dans notre pays qu’aucun autre pays n’a. Et bien sûr, poursuivre la recherche, les programmes R&D, comme celui que je mène en partenariat avec le CEA et Jean Therme. C’est en poursuivant la recherche qu’on pourra retrouver notre performance et passer devant les pays émergeants, qui n’ont pas les mêmes règles que nous en matière de développement durable. Faire importer des panneaux chinois par cargo et avion : on marche sur la tête !