Point de vue/ Le sujet du crédit carbone n’est pas un sujet de prédilection pour les entreprises du renouvelable. Et pourtant !

Par Corinne Lepage, avocate à la Cour, docteure en droit, ancienne ministre de l’environnement (1995-1997) et ancienne eurodéputée (2009-2014)

Jusqu’ à l’année 2024, parler crédits carbone signifiait se référer au marché des quotas d’émission, au marché des crédits carbone issus du protocole de Kyoto (mécanisme de développement propre et mise en Å“uvre conjointe) et au marché libre ou volontaire sur lequel s’échangeaient des crédits carbone correspondant à des actions volontaires des entreprises. Avec le vote en 2024 de la directive CRCF qui crée un marché régulé européen de crédits carbone et la décision prise à Bakou en novembre 2024 de mettre en Å“uvre les mécanismes de crédits carbone prévus par l’article 6 paragraphe 2 et 4 des accords de Paris, le sujet a totalement changé d’envergure.

En effet, ces transformations juridiques ne font que traduire une situation climatique rendant incontournable la création ou l’amélioration des puits de carbone pour parvenir à la neutralité climatique en 2050. En effet, non seulement les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre patinent, mais encore et surtout les puits de carbone existants notamment forestiers sont en chute libre. D’où la nécessité de projets qui permettent de renforcer les puits existants, d’en créer de nouveau et de développer les mécanismes de capture et d’utilisation du carbone.

Il est vrai que les crédits carbone n’ont pas bonne presse. D’une part, le principe même de la compensation est contesté dans la mesure où cette logique est considéré comme permettant la continuation des émissions de gaz à effet de serre à leur niveau. En effet, certaines industries particulièrement énergivores comme l’acier ou la chimie estiment ne pas pouvoir réduire de manière suffisante leurs émissions de gaz à effet de serre et par voie de conséquence recourir aux technologies CCUS (Carbon Capture, Utilisation and Storage). Il en va de même et de manière encore beaucoup plus contestable des pétroliers qui estiment pouvoir continuer à forer en récupérant le carbone qu’ils ne parviennent cependant du reste pas à récupérer pour l’essentiel.

De plus, des acteurs majeurs de de la labellisation des crédits carbone ont été gravement mis en cause. Il s’agit en particulier de Verra donc différentes études ont qualifié les crédits de crédits fantômes. Mais, en revanche, le standard label bas carbone qui permet du reste de la délivrance de certificats carbone plus chers est considéré comme sérieux. Tous les standards actuels ont cherché à renforcer leur robustesse et les réglementations qui se mettent en place , accompagnées de systèmes de vérification par des tiers indépendants, de registre interopérable et de contrôle encadrent de manière beaucoup plus rigoureuse les marchés du crédit carbone qui vont devenir des marchés réglementés, permettant la satisfaction des obligations climatiques des entreprises comme des Etats et même si les marchés libres vont bien entendu continuer à exister.

Quels sont les sous-jacents ou autrement dit sur quelles opérations peuvent s’appuyer les crédits carbone ? Deux catégories peuvent être distinguées, les sous-jacents naturels, c’est-à-dire principalement la forêt qui aujourd’hui capte plus de 90% des crédits carbone, le sol (avec un intérêt évident pour les agriculteurs qui s’intéressent au sujet) et la mer avec les mangroves et les coraux. La seconde catégorie concerne les procédés technologiques de capture de carbone dans l’atmosphère d’une part, de capture et de séquestration ou d’utilisation dans les produits d’autre part.

En quoi ces marchés du carbone peuvent-ils intéresser les entreprises du renouvelable ? 

Il existe deux types de crédits carbone la séquestration et l’évitement. L’évitement correspond à une quantité d’équivalent CO2 dont l’émission a pu être évitée grâce à l’emploi d’une solution alternative. La réalisation d’une opération d’énergie renouvelable peut constituer un évitement dès lors qu’elle se substitue à une production d’énergie fossile. Pour autant, peut-elle donner lieu à l’émission éventuelle d’un crédit carbone ? Tout d’abord, les conditions habituelles à l’émission d’un crédit carbone sont évidemment applicables et en particulier, le critère d’additionnalité  doit être satisfait. Il y a additionnalité à une triple condition :

-la réalisation du projet permet une amélioration par rapport à l’état de référence, c’est de dire celui dans lequel le projet n’aurait pas été réalisé

-la réalisation du projet ne serait pas possible sans les crédits carbone

-la réalisation du projet ne correspond pas à une obligation légale ou réglementaire.

 

En second lieu, il faut qu’il réponde à un standard préalablement établi sauf à en faire valider une méthodologie spécifique liée à cette énergie renouvelable. ce qui prend du temps. Dans tous les cas, chaque projet doit faire l’objet d’une vérification et d’une validation préalable. Une fois le projet certifié, l’exploitant peut générer les crédits carbone et les valoriser. À ce jour, il existe des standards qui reconnaissent les énergies renouvelables. Le standard VCS de Verra comporte une méthodologie sur les énergies renouvelables. En revanche, ce n’est pas le cas du label bas carbone qui valide des certificats carbone issus d’activités d’évitement et mais ne semble pas disposer de méthodes relatives à l’émission de certificats dans le cadre de projets d’énergie renouvelable.

Au niveau réglementaire,  le nouveau règlement communautaire CRCF  qui attend l’adoption d’actes délégués n’intègre pas dans sa certification l’évitement des émissions de gaz à effet de serre ce qui signifie qu’il ne s’ouvre pas aux énergies renouvelables. En revanche, s’agissant de l’article 6 alinéa 2 et 4 des accords de Paris, les opérations d’énergie renouvelable peuvent parfaitement trouver leur place à la condition de répondre à toutes les conditions qui seront précisées dans le courant de l’année 2025 pour pouvoir probablement être mise en Å“uvre en 2026. L’avantage majeur de ces crédits carbone vient de ce qu’ils vont entrer dans un cadre réglementé, prévu par le code de l’environnement et permettre donc aux entreprises comme aux États de satisfaire leurs obligations, ce qui signifie qu’il va y avoir une grosse demande.

Et, sans attendre 2026, le marché libre volontaire des crédits carbone accueille d’ores et déjà les énergies renouvelables dès lors que les crédits ont été validés par un organe portant des standards et capable de labelliser les projets. La valeur des crédits carbone est très variable et se renforce considérablement lorsque le projet est assorti de co-bénéfices c’est-à- dire permet d’améliorer la situation de la biodiversité où apporte des avantages particuliers aux populations locales. Par exemple, pour l’agrivoltaïsme, des avantages connexes pourraient peut-être être valorisés.

Quoi qu’il en soit, cette question de la capacité de générer des crédits carbone pour des opérations qui ont une certaine amplitude, devrait être posée car il peut s’agir d’un avantage financier non négligeable qui ne nécessite pas d’investissements complémentaires si ce n’est bien entendu dans la validation du projet.

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