Edito/Le combat de David solaire contre Goliath nucléaire

Depuis un peu plus de deux ans et surtout depuis quelques mois, la petite musique de fonds du bien fondé de construire de nouveaux actifs nucléaires en France s’est muée en grandes symphonies péremptoires relayées par des lobbys puissants qui ont leurs entrées sur toutes les scènes et opéras médiatiques. La Nucléosphère éructe et s’exprime à nouveau sans tabou. Fukushima est bien loin…

La BD “Le Monde sans fin” du très médiatique Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, publiée en 2021, a ouvert le bal. L’ouvrage défendait déjà une vision très pro-nucléaire. Radios, télés et journaux, Jean-Marc Jancovici était partout pour faire le panégyrique de l’atome présentant pour l’occasion une vision biaisée des énergies renouvelables. De quoi susciter des critiques sur son parti pris et son influence potentielle sur le public ! Le Monde sans fin a dépassé le million d’exemplaires vendus.

Fin 2024, de nombreuses tribunes de grandes personnalités ont également été publiées sur des médias « mainstream » de forte audience. Si on devait en retenir une, ce serait celle co-signée par Henri Proglio, ancien patron de la maison EDF, et d’anciens ministres, d’anciens parlementaires, d’anciens dirigeants d’entreprises et de production d’électricité, d’animateurs de centres de réflexion et de spécialistes des questions énergétiques, … Dans une lettre ouverte publiée dans le magazine Le Point, ces anciens dirigeants ont alerté le Premier ministre de l’époque Michel Barnier, dénonçant de manière outrancière une politique ruineuse de développement massif des renouvelables dans une France qui grâce au nucléaire et à l’hydraulique, profite d’une électricité abondante et déjà décarbonée à 95 %…

Dans un papier passionnant écrit par Jane Lindgaard de Médiapart, cette influence est même quantifiée et monétisée par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). En 2023, 80 % du lobbying déployé autour de la loi de relance du nucléaire était favorable à l’industrie de l’atome, selon une note de l’HATVP. L’ampleur du déséquilibre interroge. Chiffres à l’appui… L’inégalité est budgétaire : l’UFE (Union Française de l’Electricité) a ainsi dépensé entre 500 et 600 000 euros en 2023 pour défendre l’intérêt de ses adhérents (producteurs, fournisseurs et gestionnaires d’électrons) auprès des parlementaires. Toute cette activité ne s’est pas concentrée sur la loi d’accélération du nucléaire. Mais c’est beaucoup plus que les moyens mis par Greenpeace à la même période – qui ne s’est pas non plus seulement mobilisé contre la loi de relance de l’atome – avec un budget déclaré entre 25 et 50 000 euros. Ou Agir pour l’environnement, qui a dépensé entre 75 et 100 000 euros.

Le groupe d’ingénierie industrielle Assystem a dépensé entre 100 et 200 000 euros en 2022 et 2023 uniquement pour défendre « la place du nucléaire » dans le mix énergétique et parler du nouveau nucléaire. Le lobbying très radioactif autour de la loi de relance du nucléaire déploie de gros moyens. Et la liste des lobbyistes ressemble à un inventaire à la Prévert : EDF, Orano, Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), Société française d’énergie nucléaire (SFEN), Cercle d’études réalités écologiques et mix énergétique (Cérémé), Association de défense du patrimoine nucléaire et du climat, Voix du nucléaire. Sans oublier les sociétés positionnées sur le marché du « nouveau
nucléaire » : Naarea et Newcleo.

Pour Julie Laernoes, cheffe de file pour les écologistes sur la loi nucléaire, les éléments publiés par la HATVP confirment « la forte restructuration du lobby nucléaire en France », après avoir été en perte de vitesse pendant des années, à la suite de la catastrophe de Fukushima : « Toute la puissance d’influence de l’industrie nucléaire s’est remise en marche de manière assez virulente, au travers d’“experts”, pour décrédibiliser la parole des opposants en les qualifiants d’idéologues ou d’incompétents, de cabinets de conseil, mais aussi, et c’est plus nouveau, à travers des associations qui reprennent les codes du militantisme écologique pour mieux cibler l’opinion publique. »

Pour les défenseurs du solaire et des renouvelables, la bonne nouvelle est venue de la Cour des Comptes avec un rapport explosif divulgué le 14 janvier dernier alertant sur des risques de coûts et de rentabilité de la filière EPR. Le rapport évoque des incertitudes concernant la conception et le financement des nouveaux réacteurs EPR, notamment le programme EPR2. Les coûts du réacteur Flamanville 3, quant à eux, ont considérablement augmenté, passant de 3,3 milliards d’euros à une estimation actuelle de 23,7 milliards d’euros en 2023. Une folle multiplication par 7. De quoi fissurer les certitudes des lobbyistes fortunés de l’atome comme était fissuré le béton de la dalle de l’EPR… Malgré ces gros moyens, le Goliath nucléaire peine à convaincre, là où le David solaire, petit caillou lancé sur le front de l’ogre de la fission, s’impose partout dans le monde par sa simplicité technique, sa promptitude d’installation et sa compétitivité économique. En toute sécurité…

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