Jules Nyssen : « Tous les jours, une filière EnR est mise en cause au nom de la biodiversité. C’est un peu le monde à l’envers ! »

Le 7 novembre dernier, à quelques jours du deuxième forum « ENR et biodiversité » organisé le 14 novembre prochain par le SER, Libération a publié une Tribune sans équivoque et au titre oh combien ! provocateur « Pour un arrêt du déploiement de centrales photovoltaïques en milieux naturels ». Cette Tribune est signée par un collectif de scientifiques, de politiques et d’artistes qui comptent des personnalités reconnues dans la lutte contre le péril climatique. Un aréopage visiblement peu informé de la problématique solaire et tombé dans un traquenard médiatique. Les réactions des professionnels de la filière solaire ne se sont pas fait attendre ! Miscellanées.
Valérie Masson Delmotte Climatologue, Yamina Saheb Chercheure, autrice du volet III du 6ème rapport du GIEC, Vincent Munier Photographe-cinéaste, Christophe Cassou Climatologue, directeur de recherche du CNRS. auteur principal du 6ème rapport du GIEC, Cyril Dion Auteur réalisateur, Mathieu Vidard Producteur-France Inter, Aymeric Caron Député de Paris, Bruno Solo Artiste, Emily Loizeau Artiste, chanteuse auteure compositrice, Delphine Batho Députée des Deux-Sèvres, et la liste est loin d’être exhaustive !
« Tout ce qui est excessif est insignifiant »
Ces personnalités ont désormais toutes un point commun. Elles ont signé une Tribune à charge contre l’industrie photovoltaïque qui « projette de détruire plus de 150 000 hectares d’espaces naturels ». Ce réquisitoire déploie une sémantique d’une rare violence à l’égard de acteurs de la filière solaire. Quelques exemples : « Certains industriels méprisent la biodiversité et réalisent le casse du siècle », « Les appétits sont donc féroces et les communes … sont des proies faciles pour ces marchands de soleil », « En dépit de cette accélération criminelle voulue par les industriels de ce secteur, il est aussi urgent que vital de refuser que leur soit livré ce patrimoine commun » ou encore « prétendre répondre au défi climatique en accélérant l’extinction massive d’une biodiversité déjà à genoux est la promesse d’un suicide collectif ». Un pamphlet en bonne et due forme, d’une rare agressivité ! De quoi pousser Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement, a cité Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». Et de poursuivre maniant l’ironie non feinte : « Vous pensiez que la biodiversité est menacée par le changement climatique, les pesticides, le béton ou la chasse ? Et bien non : la menace vient des panneaux solaires (« accélération criminelle » !) ».
« C’est un peu le monde à. l’envers ! »
Jules Nyssen, président du SER, ne décolérait pas : « Comment autant de personnalités dont certaines très impliquées dans la lutte contre le dérèglement climatique ont-elles pu signer une tribune aussi naïve ? Les signataires ont-ils considéré les atteintes à la forêt généré par l’ensemble des activités humaines et notamment l’usage intensif des hydrocarbures. Mesurent-ils qu’il est particulièrement contreproductif que les énergies renouvelables soient systématiquement pointées du doigt comme le principal facteur de perte de la biodiversité alors que d’une part le réchauffement climatique est l’une des principales causes d’érosion de la biodiversité, et qu’il est directement lié aux énergies fossiles dont les énergies renouvelables constituent un substitut et que d’autre part l’utilisation continue de ces énergies fossiles génère d’énormes atteintes à la biodiversité dans les pays où elles sont extraites du sous-sol et d’où nous les importons en fermant les yeux. Tous les jours, une filière renouvelable est mise en cause au nom de la biodiversité ou de la santé publique… C’est un peu le monde à. l’envers ! ».
Ne pas nous « Trumper » de combat
Dans cette Tribune, le solaire est mis en cause, sur la base d’un avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) auquel le SER et Enerplan ont répondu point par point dans un document qui sera détaillée à l’occasion du deuxième forum ENR et biodiversité le 14 novembre prochain auquel participe le président du CNPN, Loïc Marion, ainsi que l’Office français de la biodiversité et de nombreuses ONG. Les ENR et ses acteurs n’ont pas peur du débat, bien au contraire. « Nous sommes parfaitement conscients de l’équilibre à trouver entre les différentes contraintes qui permettent de préserver notre planète des différents impacts de l’activité humaine. Mais pour remplacer les énergies fossiles qui représentent 60% de notre consommation d’énergie, on ne pourra pas se contenter d’intentions. Le combat est déjà suffisamment difficile pour rendre économiquement soutenable la transformation de notre système énergétique confortablement installé dans le monde des fossiles. N’y ajoutons pas des arguments contraires à l’objectif recherché. Bien entendu, le fait que les ENR soient un outil essentiel de la lutte contre le réchauffement climatique ne leur offre pas un blanc-seing. Et comme toute activité humaine, elles ont un impact qu’il s’agit de minimiser le plus possible. Mais on peut faire confiance à la législation française pour poser des règles extrêmement strictes à cet égard. Reconnaissons, en tous les cas que le sujet aurait mérité un minimum de débat contradictoire. Et soyons attentifs, surtout par les temps qui courent, à ne pas nous tromper de combat ! » s’insurge Jules Nyssen. On pourrait même dire ne pas nous « Trumper » de combat ! L’ennemi c’est le fossile et Donald Trump en est son principal ambassadeur.
« Il est archi faux de dire que la filière prévoit de détruire 150 000 ha »
Robin Dixon Chargé de mission chez France Renouvelables relève de cette Tribune l’argument complètement mensonger qui explique que « l’industrie du photovoltaïque prévoit de détruire 150 000 ha d’espaces naturels d’ici à 25 ans” « Y-a-t-il besoin de tomber dans une telle outrance ? » Et Robin Dixon de jouer le debunker et de se lancer dans un petit calcul de coin de table. « Lorsqu’on développe une centrale solaire au sol, on considère qu’on utilise 1 à 2 ha/MW installé. Les hypothèses de développement du photovoltaïque tablent d’ici 2035 : 75 à 100 GW. Or ces objectifs correspondent à l’ensemble du photovoltaïque : toiture, ombrière, centrales au sol “classiques”, agrivoltaïsme… On estime que la répartition sera d’environ 60% au sol & agriPV, et environ 40% en toiture et ombrières. Les centrales au sol s’implantent en premier lieu sur des sites dégradés, comme les anciennes carrières, bases militaires, friches industrielles, enfouissements de déchets… C’est aussi que les enjeux de biodiversité sont généralement les moins forts (une étude est réalisée au cas par cas). De son côté, l’agrivoltaïsme, qui commence tout juste son déploiement, permet de combiner en co-usage la production d’électricité et une activité agricole, et donc de “réutiliser” des sols déjà anthropisés. Mais revenons aux calculs. 20 GW de PV étaient déjà installés fin 2023 ; suivant la dynamique actuelle, 60% de 80 GW soit 48 GW seront des centrales au sol ou agrivoltaïques, soit… entre 48 et 96 000 ha, bien loin des 150 000. C’est archi faux ! C’est d’ailleurs cet ordre de grandeur que prévoit RTE dans son bilan prévisionnel 2035. Dans le « pire » des cas, cela correspond à… 0,15% des surfaces agricoles et forestières. Il y a une différence fondamentale et essentielle entre prétendre que nous voudrions « détruire » « 150 000 ha » de « milieux naturels », et la réalité, à savoir que pour atteindre 100 GW de PV, il faudra 2 à 3 fois moins de surface qui seront prioritairement partagées entre des terrains dégradés/délaissés et des terres agricoles en synergie. Qui plus est, la tribune sous-entend que nous nous implanterions n’importe comment au mépris de l’environnement, dirigés uniquement par l’appât du gain, ce qui est particulièrement insultant en plus d’être malhonnête. Sur le fond, personne n’a intérêt à s’implanter dans un milieu riche en biodiversité… ça n’a pas de sens ! Les impacts seraient trop lourds et trop chers à éviter/réduire/compenser, et les garde-fous de notre réglementation environnementale sont là pour ça » s’agace le chargé de mission. Une fake news de plus !

« Le solaire, déployé de manière réfléchie, est une pièce centrale de la transition énergétique »

Passons d’ailleurs sur le terme de destruction… Les installations PV sont réversibles et n’imperméabilisent pas (0,002 ha/MW). En réalité, cela fait partie du discours anti-EnR classique visant à faire passer les porteurs de projets pour d’avides destructeurs de la nature. « La filière photovoltaïque est-elle parfaite dans l’éco-conception des projets ? Non, évidemment, aucune filière ne l’est, l’amélioration est constante, et les programmes de recherche sont nombreux, comme en témoigne l’actualisation en cours de son guide d’éco-conception. Mais il est mensonger de faire croire que les énergies renouvelables vont être un tel levier de destruction de la nature et que les entreprises du secteur cherchent à tout prix à s’implanter en milieu naturel. Retrouvons de la nuance, c’est urgent ! » poursuit Robin Dixon. En tant que président de la commission solaire du SER, Xavier Daval, Renewable Energy Expert estime pour sa part qu’« il est triste de voir des écologistes sincères devenir, malgré eux, des défenseurs de l’immobilisme énergétique. Nous avons le devoir d’avancer ensemble, vers une transition énergétique qui protège à la fois notre biodiversité et notre climat. Le solaire, déployé de manière réfléchie, est une pièce centrale de cette démarche. Nous demandons un droit de réponse auprès de Libération pour équilibrer le débat sur ces enjeux cruciaux ». De son côté, Karim Megherbi, Project Origination Platform in Renewable Energy | Executive Director déplore ne trouver dans cette Tribune aucun expert des scénarios NZE, de l’énergie et des EnR parmi les signataires. La principale source des arguments est un rapport du CNPN à la méthodologie contestable sans aucune revue de la documentation scientifique existante et un reniement de toutes les études françaises de l’Ademe, d’Enerplan ou du SER…). « Quel impact ont les projets EnR par rapport aux autres facteurs impactant la biodiversité comme les pesticides, le changement climatique ou l’artificialisation des sols ? » interroge Karim Megherbi. Et Cédric Philibert consultant indépendant et analyste senior reconnu dans le domaine de l’énergie et du climat, de conclure froidement : « La liste des signataires est en effet impressionnante, savent-ils seulement qu’ils ont signé absolument n’importe quoi ? »

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