Idées/Entretien Pierre- Emmanuel Martin : « Il nous faut recréer de l’espérance dans le Pays

Pierre-Emmanuel Martin, président de CARBON, projet industriel photovoltaïque majeur pour la souveraineté énergétique européenne, a tenu à réagir au reportage de Frédéric Joffre consacré à l’industrie photovoltaïque chinoise paru dans nos colonnes. Ce papier, très factuel sur l’incroyable force de frappe chinoise en matière de solaire mais aussi de stockage, a, il est vrai, interrogé l’ensemble des professionnels de la filière. Pierre-Emmanuel Martin évoque cette hégémonie et la replace dans un contexte macro-économique et géopolitique lourd de sens. Histoire de ne pas céder au renoncement et de garder espoir dans la résilience industrielle solaire européenne !

Ite missa est ! La messe serait dite. Circulez, il n’y a rien à voir. Le solaire chinois aurait définitivement gagné la partie d’échec mondialisée du commerce de produits solaires. Les chiffres, à l’appui, plaide pour ce scénario : 97% du polysilicium et 97% wafers qui circulent sur le marché viennent de l’Empire du Milieu. Sans appel. Ce qu’il est convenu d’appeler un monopole. Pis un monopole non régulé, pour aller vers l’oxymore. La Chine se pose comme le « lider maximo », le Dieu tout puissant du solaire planétaire. Energie solaire, qui, soit dit en passant, n’est rien d’autre aujourd’hui que la brique essentielle de notre nouvelle ère énergétique, la panacée ultime, efficace et compétitive, face à nos incontrôlables dérives climatiques…

« Il existe une face sombre à cette hégémonie qu’on ne peut passer sous silence »

Frédéric Joffre, expert ès photovoltaïque, de retour de Chine, n’en est, pour sa part, toujours pas revenu de cette puissance de feu industrielle solaire soumise à amélioration continue et à investissements soutenus. Son reportage, également axé sur l’industrie du stockage, fait un constat sans appel de cette toute puissance du Dragon. De quoi faire tiquer une concurrence mondiale aux abois, qui se demande comment exister face à ce rouleau compresseur ! Dans ce contexte, Pierre-Emmanuel Martin tient à faire entendre sa voix, lui le président de CARBON l’un des plus ambitieux projets européens de solaire photovoltaïque en projet à Fos sur Mer. Loin de toute résignation et d’un quelconque renoncement ! En préambule, il admet une évidence. « Les Chinois ont inventé le solaire compétitif dans un objectif, qui a été atteint au-delà de toutes les espérances. Ils ont su développer un mass market planétaire du solaire photovoltaïque en moins de dix ans » analyse-t-il. Il poursuit sans attendre : « Mais à quel prix ? Il existe une face sombre à cette hégémonie qu’on ne peut passer sous silence. Le modèle social chinois ne peut, par exemple, en aucun cas répondre aux critères occidentaux de la RSE. Le respect des travailleurs y est trop souvent bafoué. Les 5×8, avec travail généralisé le week-end, se révèle être la norme. La Chine recoure au dumping sur ce marché. La vente à perte est interdite chez nous, le solaire chinois l’a érigée en modèle avec des wafers à 2 centimes ou des cellules à 4 centimes. Non sans conséquence ! Souffrant de surcapacités sur l’ensemble des technologies PV, le marché solaire chinois est challengé. Il connaît aussi des couacs qui mettent à mal son industrie. Certaines usines ne fonctionnent aujourd’hui qu’à 15% de leurs capacités de production. Comment tenir dans une telle conjoncture ? » s’interroge Pierre-Emmanuel Martin.

« Il en va aussi de l’avenir de nos démocraties sur fond de techno colonialisme »

Le solaire fait aujourd’hui partie des sept piliers stratégiques de la Chine. En 2050, le LCOE du solaire sera très largement imbattable, par rapport à tous les LCOE des autres énergies. La Chine va tout faire pour garder son monopole. Tout. Ce qui soulève d’indéniables questions de géopolitique de l’énergie. « Avec cette ultra domination de la Chine, il en va aussi de l’avenir de nos démocraties sur fond de technocolonialisme. L’Europe doit coûte que coûte revenir à une souverainetéindustrielle plus affirmé. Je crois aussi que le « climatodénialisme » ambiant serait moins prégnant si nous avions en Europe une industrie des solutions, en propre, chez nous. Le marché français a une appétence naturelle pour les produits français. Les installateurs nous le disent. L’aspect immatériel et l’image des modules comptent beaucoup aux yeux des clients. Il nous faut recréer de l’espérance dans le pays. Être fier de nos produits même s’ils sont un peu plus chers, temporairement, au début de notre aventure industrielle » reconnaît Pierre-Emmanuel Martin.

Equipements PV : 60% pour la Chine et à 40% pour l’Europe

Pour le président de CARBON, il n’y a pas de fatalité. L’Europe a son mot à dire. « Les Chinois ne viennent-ils pas piocher les nouvelles technologies dans la recherche occidentale ? Pourquoi ? Le TopCon est issu du Fraunnhofer, le PERC est européen, les pérovskites et l’hétérojonction émanent de chez nous, de l’IPVF et du CEA. Nous avons des atouts dans le pays. Alors c’est sûr construire des giga factories de plusieurs GW, ex-nihilo sur 50 hectares, avec les risques, les normes, les régulations, cela représente un Capex important. A nous de tangenter au mieux ce milliard et demi. A terme, je ne doute pas que nous commercialiserons des modules très bas carbone, performants et compétitifs avec un coût de l’énergie entre 40 et 60 euros le MWh et avec les mêmes conditions d’approvisionnement et les mêmes charges de personnel que les industriels chinois. Sans oublier notre potentiel pour acheminer les matières premières sur site ou livrer nos clients partout dans le monde avec le concours de la CMA CGM qui s’est aussi investie dans le projet » assure Pierre-Emmanuel Martin. Et puis il y a aussi la mise en application du règlement européen NZIA (Net-Zero Industry Act) qui vise à stimuler le déploiement industriel des technologies “zéro net” nécessaires à la réalisation des objectifs climatiques. Dans ce contexte, l’Europe évoque la volonté d’un partage de quotas de fournitures d’équipement photovoltaïque sur les projets de centrales à hauteur de 60% pour la Chine et à 40% pour l’Europe. A partir de 2030 en Europe, 100 GW devraient être installés chaque année. La Chine disposerait donc d’un marché de 60 GW, soit plus qu’aujourd’hui. Pas de quoi froisser le Dragon tout en respectant un équilibre industriel sino-européen !

Un modèle vertical plus résilient

Pour relever le défi et trouver la bonne équation, les équipes de CARBON ont basé leur stratégie sur la verticalité industrielle, qui va de la croissance des lingots de siliciumaux modules. « Notre idée est de disposer d’une maîtrise totale de la chaîne de valeur sur un même site. C’est le Français Photowatt (voir encadré) qui a inventé ce modèle vertical. La verticalité, c’est l’assurance d’une maîtrise de la chaîne économique, d’une plus forte résilience et d’une plus grande protection dans un marché extrêmement fluctuant » ajoute Pierre-Emmanuel Martin. Côté implantation à Fos sur Mer, l’enquête publique va débuter. Le permis de construire devrait tomber en janvier 2025 avant une première pierre attendue dans la 2e partie de l’année 2025. Les premiers panneaux  TopCon et TopCon Back Contact sont attendus en 2027 pour une usine qui devrait tourner à pleine puissance fin 2027. L’usine produira 5 GW de wafers et cellules et 3,5 GW de modules. De quoi alimenter les spécialistes européens des modules comme Voltec, SonnenKraft, REDEN ou Photowatt en cellules CARBON. Au sein d’un écosystème gagnant ! La réussite du challenge CARBON passera aussi par l’innovation. CARBON entend allouer 3% de son CA à la R&D. Et les responsables du projet ont même dégoté un site spécifique de 15 hectares à Istres sur un ancien site d’AREVA pour cette activité de recherche. « Nous allons créer un centre d’excellence et d’innovation, CARBON Lab, qui a vocation à s’intégrer à l’écosystème européen autour du CEA, de l’INES, de l’IPVF, de l’ISC Konstanz et demain du Fraunhofer en Allemagne…. La R&D doit nous conduire à la compétitivité. Une brique essentielle ! » conclut Pierre-Emmanuel Martin. Reste à savoir si ce modèle industriel ambitieux et pragmatique saura prendre sa part face à cette impitoyable lame de fond photovoltaïque chinoise. Pour faire mentir cet apophtegme de Yasmina Khadra qui dit que « La loi du marché n’est que la forme moderne de la loi de la jungle… »

Encadré

CARBON a fait une proposition pour Photowatt

La balle est dans le camp des responsables de Photowatt. CARBON a récemment émis le souhait de reprendre l’entreprise de Bourgoin-Jallieu, propriété d’EDF Renouvelables. Pour CARBON, Photowatt représente une opportunité, une brique d’accélération industrielle, technique et commerciale. « Nous avons un projet d’accord de reprise de Photowatt avec EDF. Nous avons un projet de transformation de l’entreprise pour accélérer notre phase d’industrialisation, qui conduire à faire passer à terme les les effectifs de 170 à 200 salariés. Disposer déjà d’un premier actif serait une bonne chose » confie Pierre-Emmanuel Martin. Avec la reprise de Photowatt, CARBON s’inscrit dans cette volonté de gagner du temps. CARBON entendu s’appuyer sur « La force de l’immatériel, d’une marque historique qui était parmi les leaders mondiaux jusqu’au début des années 2000 » s’enthousiasme le boss de CARBON. Validation, ou pas, du projet d’accord : fin novembre.

 

 

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