Enquête/La Chine s’est éveillée au solaire… le monde du photovoltaïque tremble

Frédéric Joffre, ingénieur INSA, en digne épigone, oeuvre dans la filière solaire. Plus qu’un métier, une passion familiale… Consultant pour le bureau d’études Tecsol et acteur indépendant de la filière, il est allé passer deux semaines en Chine cet été pour s’imprégner du savoir-faire industriel local. Un témoignage qui en dit long sur le potentiel de l’Empire du milieu en matière de technologie photovoltaïque. La Chine, le pays du solaire!     

 

La Chine développe plus d’EnR que le reste du monde. Le pays est ainsi devenu le plus grand investisseur mondial dans la transition énergétique. Pékin a installé plus de capacités solaires et éoliennes que le reste du monde l’année passée. La part des “énergies propres” dans la consommation totale d’énergie en Chine est passée au cours de la dernière décennie de 15,5% à 26,4%. La Chine développe actuellement pour 180 gigawatts (GW) d’énergie solaire et 159 GW d’énergie éolienne supplémentaires, selon une étude de l’organisme américain Global Energy Monitor (GEM). D’après l’organisme, ce total de 339 GW “représente 64% de l’énergie solaire et éolienne” qui est “actuellement en construction” sur la planète, soit près du double du reste du monde combiné. La Chine est suivie par les Etats-Unis (40 GW), le Brésil (13 GW), le Royaume-Uni (10 GW) et l’Espagne (9 GW), selon le GEM, organisation qui répertorie les projets liés aux combustibles fossiles et aux énergies renouvelables dans le monde.

 

Un fort niveau d’automatisation

 

Non contente de couvrir son territoire de panneaux solaires, la Chine est aussi devenue le creuset mondial de l’industrie solaire planétaire dotée de capacité à faire pâlir tous les autres pays du monde. Elle a su se doter de capacités de production de plusieurs centaines de GWc là où d’autres comptent encore seulement en MWc. La Chine s’est muée en quelques années en moteur, en réacteur devrait-on dire, de la transition énergétique mondiale. Lors de son périple chinois Frédéric Joffre a pu constater de visu cette dynamique effrénée autour du photovoltaïque. Les champs d’activités de la production apparaissent comme très sectorisés, chaque usine étant spécialisée dans son domaine : fabrication du polysilicium, lingots, wafers, cellules, modules. Première étape pour Frédéric Joffre, la visite de l’usine de wafers TCL, nouvel actionnaire unique de Maxeon (ex-Sunpower), à Yixing. « La production des wafers est une étape qui consiste à découper très finement les lingots. Les wafers sont découpés avec un fil de diamant de diamètre compris entre 24 à 26 micromètres (µm). Chaque fil est positionné tous les 130 µm, évolution souhaitée vers 120 µm. Un lingot de silicium de 870 mm de long donne 4800 wafers. Il faut 80 minutes pour découper un lingot. L’usine TCL de Yixing compte 288 machines de découpe. Elle a été inaugurée en 2023. 700 personnes sont réparties sur 3 rotations de 8h, soit environ 230 personnes par shift » précise Frédéric Joffre. La capacité de production s’élève à 45 GWc/an dans cette usine, soit environ 5 personnes par GWc/an. Le résultat d’une forte automatisation des taches et d’une robotisation des étapes de chargement/déchargement et de la logistique du site ! « Des usines équivalentes en Malaisie ou au Vietnam comptent environ dix fois plus de main d’œuvre. Le plus haut niveau d’automatisation est en Chine » confirme le jeune ingénieur. Les cellules quant à elles sont généralement fabriquées dans des endroits différents des wafers. L’installation d’une chaîne de fabrication de cellules TOPcon M10 coûte approximativement 15 M€ pour 1 GWc/an de capacité de production. Ce faible prix explique l’augmentation très rapide des capacités de production en Chine ces cinq dernières années. A cela s’ajoute le phénomène de concurrence entre provinces pour créer de la valeur sur leur territoire et augmenter leur PIB. Cette concurrence interne au pays n’a pas été régulée par l’état. « 1 container 40’’ de cellules contient environ 5 MWc alors que 1 container 40’’ de modules contient environ 0,44 MWc. « On voit tout de suite l’intérêt de transporter des cellules ou des wafers plutôt que des modules finis. C’est le positionnement de VOLTEC à ce jour et de CARBON dans sa première version de l’usine avec une capacité de 500 MWc par an » précise Frédéric Joffre.

 

Des cycles industriels de deux à cinq ans

 

Deuxième étape, la visite de l’usine de modules TCL à Yixing : 4,6 GWc/an. Pas la plus impressionnante car faiblement automatisée. Une centaine de personnes est nécessaire à la production d’un GWc/an. Néanmoins, TCL envisage de rapatrier les chaines de fabrication de la technologie « back contact » Maxeon à Yixing en Chine pour en optimiser le coût de fabrication de masse et la rendre compétitive avec la technologie Topcon. Les usines les plus avancées de Longi ou Tongwei sont bien plus automatisées avec une absence quasi-totale de main d’œuvre, à l’instar de l’étape de découpe des wafers. « Les modules sont devenus une commodité avec un prix de vente actuel aussi bas que 0,10€/Wc pour de grandes commandes achetées directement en Chine. Les fabricants disent aussi que le marché des modules est maintenant en « Hiver » à savoir un marché à prix très faible et marges négatives qui va faire disparaitre certains producteurs. Beaucoup de fabricants du Tier 2 et 3 vont forcément devoir disparaitre et il y a même une forte probabilité qu’un ou plusieurs fabricants du Tier 1 ne disparaissent dans les prochains mois. Attention à la validité des garanties affichées par le Tier 1, 2 et 3 en cas de défaut de ces entreprises » souligne Frédéric Joffre qui a également été impressionné par la stratégie d’innovation continue de la filière solaire. « Selon les conjonctures, les durées de vie des usines cellules/modules ne dépassent guère deux à cinq ans. Lorsque les prix de vente des cellules/modules sont élevés, l’amortissement de l’usine se fait en deux ans et l’investissement vers la technologie suivante plus efficiente est immédiate. Lorsque les prix sont bas comme en 2024 et les marges faibles voire négatives, on assiste à un gel des investissements en production de masse vers les nouvelles technologies. De leur côté, les chaînes d’occasion mais encore en parfait état des technologies précédentes sont envoyées à l’export vers l’Asie du sud-est, l’Inde ou l’Afrique » poursuit Frédéric Joffre.

Des batteries fabriquées à la rotative

Le périple industriel s’est poursuivi avec la visite de l’usine Sungrow à Hefei qui affiche la spectaculaire capacité de production d’onduleurs de 130 GWc par an avec en sus 70 GWh de stockage (ESS : Energy Storage System ) et 45 GWh en projet. « Sungrow est réputé pour sa technologie de conversion de puissance, et intègre les cellules de batterie de partenaires pour proposer une solution complète à ses clients ». Sungrow vient de signer un mega contrat récent de 7,8 GWh en Arabie Saoudite, le premier d’une longue série si on en croit les discours très ambitieux des équipes commerciales. Un seul atelier de l’usine est en capacité de produire 850 onduleurs strings par jour. Là aussi, l’onduleur est devenu une commodité. « Une chaine d’assemblage des onduleurs strings de 330 kWc compte 21 étapes. Cela reste très manuel, avec peu d’automatisation dans l’assemblage. » constate Frédéric Joffre. La fin de séjour a coïncidé avec la visite de deux usines de stockage, une activité dans laquelle les industriels chinois ont une avance considérable. Et cela va se confirmer. Les deux usines concernées : CATL à la capacité de 120 GWh/an sur son campus historique de Ningde et BYD de 55 GWh/an avec sa nouvelle usine de Nanning. « Dans la salle de réunion de CATL, la citation est sans ambiguïté.  « Find ways to success, not excuses to failure ». L’ambition est de mise. La sieste est obligatoire pour tous les ingénieurs et commerciaux de CATL de 12h30 à 13h30. Qu’en penseraient nos DRH ? » s’interroge Frédéric Joffre. Les deux fabricants s’appuient sur la technologie LFP (Lithium, Fer, Phosphate) avec une anode en Cuivre et une cathode en aluminium. « C’est sûrement l’un des temps forts de mon déplacement. La production en masse avec des bobines d’anodes montées sur des rotatives est impressionnante. Ils « impriment » des batteries comme nous imprimons le journal. L’automatisation des chaines de fabrication est à son paroxysme » estime-t-il. Les batteries affichent des garanties de 10 000 cycles à 70% du State of Health (SoH). La capacité d’un contenair 20’’ est environ 6,4 MWh. Le prix d’un container de stockage, sans PCS (Système de conversion de puissance), est fixé à environ 130€/kWh. Et la compétitivité va encore s’accentuer avec la montée de la densité de stockage (+10%/an) et la baisse des prix. « CATL et BYD sont très transparents sur leur feuille de route. Ils partagent avec leurs clients, les objectifs d’augmentation de la densité énergétique des cellules et la baisse de leurs prix pour les 5 prochaines années. Ca permet de limiter le risque lors de la réponse aux appels d’offres en pouvant se projeter sur des technologies et des niveaux de prix à long terme».

Les fabricants de batteries font de la chimie et n’ont pas vocation à produire les composants de puissance et de conversion électrique. Vous avez dit sectorisation !

Hégémonie chinoise

Et la R&D n’est pas oubliée.  « Sont en cours des recherches sur les batteries au sodium dont la densité énergétique (170 Ah/kg) est plus faible mais avec des cycles plus stables et une meilleure conductivité thermique. D’autres le sont sur l’électrolyte solide type « solid state » mais trop cher pour le moment, pas rentable pour les systèmes de stockage stationnaires dont la densité de stockage n’est pas un critère déterminant » conclut Frédéric Joffre. En conclusion du livre blanc du gouvernement chinois on peut lire : « En tant que fervent défenseur de la transition énergétique mondiale, la Chine travaillera avec les autres membres de la communauté internationale pour planifier ensemble la coopération énergétique, lutter contre le changement climatique mondial, promouvoir l’harmonie entre l’humanité et la nature, et créer un monde propre et beau pour tous ». A la description de ce potentiel industriel, comment pourrait-il en être autrement, tant les avancées de l’Empire du milieu en matière d’énergie solaire, de convertisseurs de puissance et de stockage sont prégnantes ? De quoi faire trembler le reste du monde pour ce qui est de la souveraineté énergétique relatives aux énergies renouvelables, les énergies du futur…

Encadré

Le poids des externalités des usines européennes en construction interroge

« Je suis très étonné des montants annoncés, au-delà du milliard d’euros, pour le lancement des giga factories européennes » s’interroge Frédéric Joffre. Une chaine de fabrication chinoise cellules et modules Topcon de dernière génération en 2024 s’achète :

  • Chaine de fabrication cellules Topcon : 15 M€/GWc.an
  • Chaine de fabrication modules Topcon : 6,5 M€/GWc.an

Au total, le montant s’élève à 21,5 M€/GWc.an. Soit un peu plus d’une centaine de millions d’€ pour une chaine de fabrication d’une capacité de 5 GWc/an. Il est de fait que le poids des externalités, le prix du foncier, de la construction, des aménagements, des infrastructures et des charges financières, alourdissent considérablement les investissements. Dans un marché où les technologies progressent à vitesse grand V, impliquant des mutations rapides, la flexibilité et une compétitivité rapide sont indispensables. Certainement une des raisons pour lesquelles les giga factories européennes peinent à trouver des financements…

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