TRIBUNE/Transition énergétique en Europe : le rôle stratégique des fonds de dette privée d’infrastructures

Par Philippe Garrel, Directeur des fonds de transition énergétique chez Sienna Investment Managers

La transition vers un avenir décarboné exige des transformations profondes et rapides mais aussi des solutions d’accompagnement adaptées pour les acteurs mid-market, qui sont les plus innovants et les plus agiles.

Depuis cinq ans, l’Europe a vu une accélération significative de l’intégration des énergies renouvelables dans son mix énergétique. Elles ont atteint 44% de la production totale d’électricité en 2023 (contre 33% pour les énergies fossiles et 23% pour le nucléaire), et les premiers mois de 2024 confirment cette tendance. Cette dynamique est essentielle pour atteindre les objectifs climatiques de l’Union européenne, qui vise une réduction de 55% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cependant, l’essor de ces énergies intermittentes couplé à la hausse attendue de la consommation électrique engendre de nouveaux défis et exige des investissements substantiels et une innovation continue pour maintenir l’équilibre du marché énergétique.

 

RTE, le gestionnaire du réseau électrique français, a enregistré 233 heures de production électrique à prix négatifs sur le marché de gros au cours du premier semestre. Intrinsèquement liée à l’essor du solaire et de l’éolien, cette situation résulte d’une offre excédant ponctuellement la demande. Elle est appelée à perdurer, et les producteurs devront composer avec, tout comme ils doivent composer avec les contraintes liées à l’intermittence de ces sources d’énergie verte. Elle met en lumière la nécessité impérieuse d’ajouter de la flexibilité pour gérer les fluctuations. Cette flexibilité peut être obtenue à travers un pilotage encore plus fin de la consommation électrique (via des compteurs intelligents) et à travers le développement de batteries de stockage, une solution complexe désormais arrivée à maturité. L’usage du gaz restant indispensable à la transition, se pose la question du verdissement de cette source d’énergie. Là encore, les solutions, qui passent par la méthanisation, de la pyrogazéification ou des technologies du power-to-gas, connaissent d’importants développements.

 

Les déséquilibres ponctuels du marché européen ne doivent toutefois pas occulter la tendance de fond, qui est à l’électrification massive des usages. D’ici 2035, la consommation d’électricité en France augmentera de 40 %. Cette hausse se fera à parc nucléaire quasi-constant, en raison des délais incompressibles du déploiement et de la mise en service des nouveaux EPR programmés. Pour y faire face, il faudra augmenter très significativement la production de renouvelables et investir massivement dans les infrastructures de la transition énergétique. Les besoins européens pour la prochaine décennie sont estimés à 1200 milliards d’euros par an, contre 760 milliards annuels sur la période 2010-2020. Et ce d’autant que la consommation électrique du Continent, qui avait nettement fléchi en 2022 (-2,8%) et en 2023 (-3,2%), sous l’effet des perturbations post-covid et de la crise russo-ukrainienne, est repartie à la hausse. Les dernières projetions de l’Agence internationale de l’énergie tablent sur une progression de 1,7% en 2024, accélérant à 2,6% en 2025.

 

Les grands énergéticiens parviennent sans difficultés à se financer, sur fonds propres, par les canaux traditionnels, notamment le circuit bancaire, ou en faisant appel aux marchés. Mais il en va autrement pour les entreprises mid-market. Ces acteurs agiles et innovants, qui prennent des risques, ont joué un rôle crucial dans la transformation du paysage énergétique de l’Europe, avec le photovoltaïque, l’éolien ou le biogaz. Aujourd’hui, ils ont déjà investi les créneaux du stockage batterie, de la géothermie ou des e-carburants. Leur capacité à faire bouger les lignes est incontestable. Mais elle dépend en grande partie de leur accès à des financements adaptés pour leurs projets. Les entreprises du mid-market européen engagées dans la transition énergétique ont besoin de solutions de financement flexibles, adaptées à leurs spécificités et au modèle économique de leurs activités.

 

C’est ici qu’interviennent les fonds de dette privée d’infrastructure paneuropéens, qui assurent un rôle-clé dans la diversification des sources de financement. Ces fonds ne se contentent pas de fournir les liquidités indispensables aux entreprises. Ils apportent également une expertise précieuse dans la structuration de projets complexes, garantissant ainsi leur viabilité à long terme. Ils jouent enfin un rôle de catalyseur, car ils sont aussi un instrument permettant aux investisseurs institutionnels, qui ne peuvent intervenir directement pour des raisons de taille et d’expertise, de contribuer au financement de l’innovation énergétique.

 

Particulièrement robustes en période d’incertitude économique, les infrastructures dédiées à la transition énergétique sont des actifs qui affichent des taux de défauts faibles et des taux de recouvrement élevés. Amortissables, les dettes d’infrastructures sont adossées à des cash-flows récurrents et offrent un profil de risque-rendement attractif. En finançant les entreprises mid-market les plus dynamiques et innovants du secteur, les fonds de dette privée d’infrastructure permettent non seulement d’accélérer la transition vers un avenir plus durable, mais offrent également d’excellentes opportunités aux investisseurs.

 

Les fonds de dette privée d’infrastructure sont appelés à jouer un rôle de plus en plus central en soutenant les acteurs les plus dynamiques et innovants du secteur. Leur contribution à l’économie et à l’atteinte des objectifs climatiques de l’Europe est indéniable.

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