Actualités/Péril sur le S21 : le signe cruel de la reprise en main de l’énergie par Bercy

Jeudi 23 mai au soir, après les heures de bureaux, tombe dans les boîtes de réception mail des syndicats Enerplan et du SER un courrier de la DGEC demandant avis sur deux options radicales visant à « réduire les dépenses publiques induites par la mise en Å“uvre du S21 ». Avec un retour attendu le lundi matin suivant. La demande s’inscrit dans une démarche plus générale de « revue des dispositifs de soutien aux EnR », qu’entend mener le gouvernement. Indécent, incompréhensible ! Le coup est rude, déroutant. Les deux syndicats montent au créneau et prennent la plume…

 

« On marche sur la tête comme d’habitude. C’est lamentable ! » maugrée Jules Nyssen le président du SER. « C’est incompréhensible, totalement incohérent. Mais qu’est-ce que c’est encore que ce truc ? On nous demande de choisir entre la peste et le choléra. C’est inacceptable ! » peste Daniel Bour le président d’Enerplan.

 

Art du contre-pied

 

Ce courrier de la DGCE est un véritable coup de massue pour les acteurs de la filière solaire qui commençaient à trouver un rythme de croisière pour atteindre les objectifs fixés par le gouvernement lui-même. Dans cette dynamique, le S21 jouait à plein son rôle avec 1,8 GW déjà attribués soit pour 2023 près de 60% du marché PV hexagonal. Rien que pour le premier trimestre 2024, on dénombre 1,2 GW de demandes complètes de raccordement dans le cadre du dispositif du S21. Un vrai booster pour la filière PV mais également pour le monde agricole très concerné par le S21. Le paradoxe n’en est que plus amer. Qui nous pousse, nous freine, ambivalence des vents contraires, art du contre-pied…

 

Où est la logique de tout cela ?

 

« La DGEC nous a proposé deux options, soit passer du guichet ouvert jusqu’à 500 kWc en guichet fermé, soit baisser le seuil d’éligibilité de l’arrêté tarifaire à 100 kWc, et faire démarrer l’AO PV bâtiment à 100kWc à savoir le retour à la situation d’avant 2021. Ni l’un, ni l’autre n’est envisageable. A l’heure où nous discutions de la publication de l’arrêté S24 pour le petit solaire au sol en dessous de 1 MWc destiné notamment à créer un marché pour les usines européennes de panneaux solaires, l’administration nous saborde le S21. Irrecevable ! » tempête Jules Nyssen agacé, à l’instar de Daniel Bour, par tant d’incohérences gouvernementales. « Nous voulons attirer l’attention sur la contradiction que représente cette requête par rapport aux discours des ministres sur l’industrie photovoltaïque en France, sur les gigafactories à venir et sur les ambitions solaires de 6 GW par an et de 100 GW en 2035 affichées par Bruno Le Maire, il y a un peu plus d’un mois à peine, à Manosque. Le ministre avait à cette occasion rappelé le montant de 20 Md€ d’investissements cumulés que représente cet objectif. Nous nous demandons donc où est la logique de tout cela et nul doute que les acteurs de la filière qui se réunissent jeudi à Montpellier dans le cadre du colloque annuel solaire organisé par le SER se poseront la même question » écrivent les deux présidents dans une lettre adressée au ministère.

 

EnR : stigmatiser les charges, oublier les recettes

 

Daniel Bour se frotte les yeux. Il a encore du mal à croire à ce courrier. « Nous avions enfin la visibilité que nous recherchions depuis des années grâce à un travail méthodique entrepris avec la DGEC, dans la confiance et la sérénité. La France montrait un signal clair indispensable pour attirer les investisseurs. Et là, patatras ! Comment se suicider ? Il y a un côté surréaliste, irrationnel à ce ballon lancé pour tester la filière » ajoute le président d’Enerplan. D’autant que la situation du S21 est maîtrisée. Il n’y a aucun risque financier à court terme, par le mode de calcul lui-même du S21 qui voit le tarif baisser quand les volumes augmentent à bon rythme. « Il n’y a vraiment pas de quoi s’emballer. Le tarif s’auto régule. On nous dit aussi aujourd’hui que les EnR sont un poste de charge en oubliant bien vite qu’en 2022 et 2023, durant la crise énergétique, elles ont généré des recettes substantielles (ndlr : 18 milliards d’euros) » poursuit Jules Nyssen qui attend avec un brin d’angoisse la présentation du projet de PPE le 10 juin prochain avec toujours chevillé au corps l’espoir d’un jalon à 6 GW annuel inscrit dans le marbre de la programmation pluriannuelle de l’énergie.

 

L’ombre de Bercy

 

Derrière cette proposition sans concertation faite par la DGEC, l’ombre de Bercy désormais en charge de l’énergie plane à l’évidence. « Ce n’est un secret pour personne. L’Etat cherche des moyens. Quand il voit en ce moment les prix à zéro voire négatifs sur le marché spot et qu’il est dans l’obligation de compenser aux producteurs d’EnR dans la logique des prix garantis, il bloque un peu. Le danger, c’est le changement violent de direction comme cette remise en cause inopinée du S21. Au sein d’une filière industrielle, il est possible de bouger des lignes mais les évolutions doivent se faire lentement sans brutalité. En 2010 et 2011, 15 000 emplois avait été sacrifiés avec le moratoire » se rappelle André Joffre, fondateur de Tecsol et président du pôle DERBI. Sous la pression de la dette et des agences de notation, Bercy est en train de passer en revue l’ensemble des dépenses publiques, et dans la continuité, de passer au crible les soutiens aux EnR. La très forte dynamique du S21 clignote pour les tenants de la rigueur budgétaire sis sur les quais de Seine. Jusqu’à l’absurde… loin des préoccupations liées aux changements climatiques. Un chiffre : 10 points de produit intérieur brut (PIB) par an, voici le coût estimé par l’ADEME du réchauffement climatique pour l’économie française. Rapporté au PIB de 2022, cela représente près de 264 milliards d’euros. Sacrifier le S21, une mesure de court terme. Les mauvais comptes de Bercy !

Encadré

 

Les enjeux économiques, fonciers et industriels du S21

 

Sur le plan économique, les projets relevant du S21 représentent 200 000 chantiers par an (soit plus de 16 500 par mois) pour lesquels tout un tissu d’entreprises s’est organisé, a recruté des personnels, formé des équipes. Ces entreprises structurent dans les territoires des chaînes de sous-traitants (artisans, PME) pour accompagner le déploiement d’installations en toitures ou sur les parkings lesquelles installations créent de la valeur via des retombées concrètes au bénéfice des territoires en valeur ajoutée créée et en fiscalité locale.

Côté enjeux fonciers, le déploiement se fait de manière diffuse, sans consommation foncière, en cohérence avec les orientations de la loi APER qui vise à maximiser l’utilisation des espaces déjà artificialisés.

Sur les enjeux industriels enfin, les projets de solaire en toiture sont essentiels pour accompagner les objectifs de réindustrialisation, la part du panneau dans le coût global d’un projet étant plus réduite par rapport aux autres segments de marché.

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