Déclaration solennelle de la FMOI : le conservatisme énergétique au chevet du changement climatique

Cette déclaration a été rédigée par le Comité technique permanent de l’énergie de la Fédération mondiale des organisations d’ingénieurs (FMOI) (energy@wfeo.org). La FMOI représente près de 100 pays et quelque 30 millions d’ingénieurs dans le monde (www.wfeo.org). Entre apologie du nucléaire et incertitudes pesantes sur les renouvelables et leur variabilité ! L’ingénierie mondiale semble demeurer assise sur les vieux dogmes centralisés et les rentes de situation. On vous laisse juge…

 

Suite à l’analyse du GIEC et en particulier à ses derniers messages sur l’urgence de mettre en œuvre non seulement des politiques d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre mais aussi des politiques d’adaptation aux conséquences du changement climatique, cette déclaration est basée sur les avis raisonnés de communautés d’ingénieurs qui se consacrent à la conception de systèmes énergétiques dans le monde entier. Une approche qui se veut également hélas très conservatrice…

 

1. La production et l’utilisation de l’énergie sont au cÅ“ur de la crise climatique à cause des émissions de gaz à effet de serre qui en résultent et nécessitent une action efficace dans deux directions principales. Celles-ci comprennent : a. La recherche d’une plus grande efficacité énergétique et la limitation de l’utilisation de l’énergie, de la production à la consommation. Il est essentiel de découpler la croissance économique, source d’élévation du niveau de vie, de la consommation d’énergie : tous les scénarios concluent à la nécessité d’une rupture dans l’évolution de l’intensité énergétique mondiale, qui doit passer d’un taux de croissance annuel de – 1 à – 1,5 %, observé historiquement, à un taux de – 4 ou – 5 %. b. La décarbonation des systèmes énergétiques, tant du côté de l’offre que de la demande, en favorisant les technologies à faibles émissions de carbone. Ces deux niveaux peuvent être activés par des choix technologiques et des changements de comportement, parfois encouragés par les politiques énergétiques.

 

2. Les énergies renouvelables (principalement le solaire, l’éolien, la biomasse et l’hydroélectricité) doivent être appliquées et davantage développées. Aucune d’entre elles n’est sans conséquences sur l’environnement, parfois moins apparentes que pour d’autres formes d’énergie. Si l’intégration de certaines d’entre elles (énergie éolienne ou photovoltaïque) dans les réseaux électriques peut être source de difficultés en raison de leur variabilité, d’autres, au contraire, sont vertueuses en termes de stabilisation du système (hydroélectricité avec réservoirs). La plupart d’entre elles ne sont pas très denses, leur forte emprise au sol est source d’opposition locale, mais elles ont toutes l’avantage d’avoir une faible empreinte carbone.

 

3. L’énergie nucléaire a une très faible empreinte carbone et son fonctionnement est stable et fiable. Comme l’hydroélectricité, elle peut produire des quantités massives d’électricité décarbonée et contribuer à la décarbonation des systèmes énergétiques. L’énergie nucléaire est essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Bien que la sécurité et la gestion des déchets radioactifs soient souvent citées comme des préoccupations, ces préoccupations peuvent être gérées aujourd’hui de manière adéquate, notamment par la réutilisation de certains déchets à longue demi- vie. Le principal défi pour les responsables des politiques énergétiques et les ingénieurs est de redonner au nucléaire la place qui lui revient par l’information et le débat.

 

4. Les combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz), qui sont responsables d’une grande partie des émissions de CO2, représentent toujours la plus grande part du bouquet énergétique mondial. S’il ne semble pas possible de les éliminer rapidement et complètement, notamment dans certains secteurs comme les transports, ou dans certains pays, ils pourraient constituer une énergie de transition en étant associés aux technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone.

 

5. L’électrification est certainement l’un des principaux moteurs de la transition énergétique. Une attention particulière doit être accordée aux systèmes électriques, notamment pour assurer la production de base. Le déclassement des centrales thermiques fossiles et le développement massif des énergies renouvelables variables peuvent poser des problèmes de continuité et de qualité de l’approvisionnement en électricité. Des centrales électriques de secours, des technologies de stockage d’énergie rentables et efficaces, le développement de la flexibilité de la demande et le développement des réseaux électriques seront nécessaires pour surmonter le problème de variabilité des énergies renouvelables. La question de l’accès à l’énergie en général et à l’électricité en particulier reste, dans de nombreuses régions du monde, un défi majeur auquel il faudra probablement apporter des réponses différentes, que ce soit pour l’approvisionnement des grandes mégalopoles en développement ou pour les sites isolés et hors réseau.

 

6. La recherche d’une plus grande résilience des systèmes énergétiques soulève des questions sur l’utilisation des terres, la rareté de l’eau ou l’utilisation de matières premières (cuivre, lithium, nickel, cobalt, zirconium, métaux du groupe du platine et terres rares) qui pourraient conduire à leur épuisement précoce. Le passage de la dépendance des systèmes énergétiques, tant du côté de l’offre que de la demande, des combustibles fossiles à certaines matières premières, composants et équipements constitue un nouveau défi auquel il faut apporter des réponses, notamment en termes d’économie circulaire et de développement industriel.

 

7. Des politiques énergétiques nationales efficaces et une coopération internationale seront essentielles pour mettre en Å“uvre les politiques les plus efficaces pour atteindre l’objectif net zéro émissions. S’il est indéniable que les pays développés représentent encore une part importante des émissions (33 % en 2021 contre 40 % en 2011), les tendances démographiques mettent en évidence le rôle majeur des pays en développement : en 2050, la planète comptera probablement près de 10 milliards d’habitants, contre environ 8 milliards aujourd’hui, et cette croissance s’observera principalement dans les pays en développement, qui représenteront 87 % de la population mondiale. La recherche de solutions doit s’appuyer sur une vision prospective de la consommation d’énergie – marquée par le vieillissement de la population et l’urbanisation croissante (55 % de la population mondiale vit en ville en 2022, 70 % en 2050) et par les émissions associées. Les choix de politique climatique – y compris le soutien des économies développées aux économies en développement – ne peuvent se concevoir en dehors d’un cadre et d’un effort globaux.

 

8. Le choix de se concentrer sur les solutions qui contribuent efficacement et immédiatement à la lutte contre le changement climatique ne doit pas nous faire oublier :

 

a. L’effort de recherche indispensable pour développer des solutions à moyen ou long terme qui trouveront leur place dans le futur, comme les installations utilisant de l’hydrogène décarboné, d’autres carburants zéro carbone, l’amélioration de l’efficacité de la mobilité électrique et des bâtiments, les technologies de stockage y compris l’utilisation de l’électricité du réseau en dehors des heures de pointe, les tours solaires, les petits réacteurs nucléaires modulaires et la fusion nucléaire. En ce qui concerne l’hydrogène à très faible teneur en carbone ou les carburants synthétiques, il convient de poursuivre la recherche et le développement pour faire face aux difficultés d’utilisation, y compris la sécurité du stockage et le risque d’inflammabilité, avant de pouvoir exploiter pleinement leurs potentialités ;

 

b. Le besoin croissant d’adapter les économies, et en particulier les systèmes énergétiques, au changement climatique afin de protéger les installations de production d’énergie de la menace de l’élévation du niveau de la mer et des conditions climatiques extrêmes. Les conséquences du changement climatique se font déjà sentir sur la navigation fluviale, l’irrigation, l’hydroélectricité et le refroidissement des centrales thermiques ;

 

c. Le lien entre l’énergie et les Objectifs de Développement Durable ; la recherche de solutions fournies par les ingénieurs conduit parfois à des choix énergétiques qui entrent en conflit avec d’autres exigences de durabilité telles que la biodiversité ou la protection des habitats des populations autochtones.

 

9. Les trajectoires vers des systèmes énergétiques durables nécessiteront une méthode rationnelle et rigoureuse pour faire des choix, loin de tout rêve ou idéologie, et devraient être fondées sur les principes suivants :

 

a. Adopter une approche systémique ;

 

b. Exploiter les meilleures technologies matures et le développement des compétences associées, tout en encourageant également l’innovation et le développement de nouvelles technologies ;

 

c. Mettre l’accent sur le potentiel réel de toute nouvelle technologie, sur son adaptabilité et sur la facilité de son transfert ;

 

d. Donner plus d’importance à l’efficacité économique alors que la crise économique et sociale mondiale provoquée par des situations imprévues laisse tous les acteurs sous contraintes financières ;

 

e. Mettre en œuvre une plus grande coopération internationale entre les pays développés et les pays en développement dans la lutte contre le changement climatique.

 

10. Il est essentiel d’avoir une approche équilibrée entre le progrès économique, la justice sociale et la préservation de l’environnement qui est fondamentale pour la sécurité énergétique d’un pays. C’est la condition sine qua non de l’acceptation par ses citoyens de la mise en œuvre de politiques énergétiques.

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