Tribune commune : SIGNATAIRES : Marc Jedliczka, Directeur d’Hespul Hervé Lecomte, Président du directoire de Sergies, Mélodie de l’Epine, coprésidente d’Energie Partagée, Gilles Leandro, Directeur Général des Opérations de Soper, Julien Noé, Président d’Enercoop
CONTEXTE
Les mécanismes de soutien public aux énergies renouvelables électriques ont été mis en place il y a une vingtaine d’années dans l’objectif de stimuler le développement des filières émergentes comme l’éolien et le photovoltaïque afin d’accélérer leur compétitivité et de rendre possible leur introduction à grande échelle dans le mix énergétique français. A présent que leurs coûts de production atteignent des valeurs proches du niveau des marchés de gros, les contrats de vente d’électricité de gré à gré (communément appelés PPA pour « Power Purchase Agreement ») se développent progressivement, en particulier dans le solaire, en parallèle des projets soutenus par le budget de l’État et ont vocation à devenir à terme prépondérant, notamment pour les puissances moyennes (quelques dizaines à quelques centaines de kW) et fortes (quelques MW à quelques GW).
Dans ce modèle, qui a notamment pour vertu de ne pas faire appel au soutien public et d’être en outre totalement décorrélé du marché de gros dont les fluctuations particulièrement intenses depuis septembre 2021 sont inquiétantes, la capacité de financement des investissements, que ce soit en fonds propres ou en dette, dépend de la sécurisation des revenus issus de la vente de l’électricité. Jusque-là apportée par l’État à travers l’obligation d’achat, celle-ci repose dans le cas des PPA sur la signature d’un contrat d’achat à long terme par un tiers jugé « digne de confiance » qui peut être un consommateur pour ses besoins propres (on parle alors de « cPPA » pour « consumer power purchase agreement ») ou un fournisseur pour revente à ses clients (on parle alors de « uPPA » pour « utility power purchase agreement »).
Avec la poursuite attendue de la baisse des coûts de production de l’éolien et du photovoltaïque, il y a tout lieu de penser que les PPA vont devenir un procédé de plus en plus commun pour structurer un marché de l’électricité dont la composante renouvelable sera de plus en plus importante. Néanmoins ce modèle, déjà éprouvé dans certains pays, notamment en Espagne et dans une moindre mesure en Allemagne, est nouveau en France et comporte aux yeux des investisseurs des risques additionnels liés à la crédibilité de la contrepartie privée qui se substitue à l’État : c’est ce qui explique la faible disposition pour ne pas dire la frilosité des banques françaises à financer de tels projets ou leur propension à imposer des conditions financières qui rendent les projets non rentables, notamment ceux des acteurs de petite et moyenne taille.
Dans ce contexte, seuls les acheteurs d’énergie de taille conséquente permettent un accès privilégié à la dette aux projets de production d’électricité renouvelable en PPA. Cet état de fait constitue une menace potentiellement rédhibitoire pour les opérateurs de taille modeste, notamment ceux relevant de l’économie sociale et solidaire et/ou ancrés territorialement dont l’utilité sociale dans le secteur de l’énergie n’est plus à démontrer : lucrativité limitée, gouvernance démocratique, appropriation et perception positive des projets, logique de circuits courts, pluralité de l’offre pour les consommateurs, etc. Compte tenu de l’intérêt que représentent pour le budget de l’État les PPA qui permettent d’économiser les deniers publics tout en accélérant le nécessaire déploiement des énergies renouvelables, un groupe de travail coordonné par le Ministère des Finances et le Ministère de la Transition écologique a mené l’année dernière des travaux de réflexion sur les moyens de favoriser leur développement.
Parmi les pistes les plus sérieusement explorées figure la mise en place d’un fonds de garantie financé par l’État permettant de couvrir les producteurs signataires des PPA contre le risque de défaillance structurelle des acheteurs, surtout lorsqu’il s’agit d’un consommateur ou d’un fournisseur privé soumis par définition aux aléas de la concurrence. En cas de réalisation du risque, le fonds permettrait au producteur qui serait alors obligé de vendre sa production sur le marché à un prix inconnu à l’avance de se voir compenser tout ou partie des pertes engendrées par la différence entre le prix de marché et le prix convenu dans le cadre du PPA. S’il était mis en place, un tel dispositif serait effectivement de nature à stimuler fortement la montée en puissance des PPA sans pour autant représenter pour l’État un coût important, ni même un risque significatif compte tenu de la tendance structurellement à la hausse du prix de marché de l’électricité.
Or, alors que de nombreux acteurs grands et petits ne demandent qu’à participer à la dynamique d’émergence des projets en PPA afin de soulager le budget de l’État, il semble d’après les informations les plus récentes que l’on s’achemine vers une restriction de l’accès à ce fonds de garantie aux seuls contrats de vente directe aux gros consommateurs industriels de plus de 10 GWh (10 millions de kWh) par an. Si cela se vérifiait, cela constituerait à la fois un frein majeur à l’essor des PPA et un cas injustifiable d’inégalité de traitement entre acteurs du monde de l’énergie.
PROPOSITION
Les signataires de la présente note appellent donc le gouvernement à envisager dès à présent l’élargissement du périmètre du fonds de garantie des PPA que l’État prévoit de mettre en place à l’ensemble des acteurs du marché, et pas seulement aux consommateurs industriels de plus de 10 GWh par an, et ceci quel que soit le modèle de contrat (uPPA ou cPPA), Cette mesure équitable et de bon sens permettrait de répondre à moindre coût pour l’État à l’appétence grandissante des consommateurs de toutes natures et de toutes tailles pour les offres de fourniture d’électricité renouvelable à prix abordable et stable dans la durée : il n’y a donc aucune raison de ne pas la décider !