par Laëtitia Tran-Rodeghiero Commercial Buildings Segment Manager – Eaton Electrical France
L’une des façons de réfléchir à l’avenir de l’énergie afin de l’appréhender comme il convient consiste à se tourner vers le passé. Avant l’émergence de l’énergie générée à partir de ressources telles que le charbon, le pétrole et le gaz et gérée de manière centralisée, l’alimentation d’une entreprise impliquait d’interagir directement avec les sources d’alimentation. Qu’il s’agisse du feu utilisé pour cuire des aliments ou des roues à eau qui alimentent les usines, l’humanité a réfléchi de manière intensive pour déterminer si cette énergie était nécessaire ; savoir où la trouver, comment la collecter et comment l’utiliser au mieux.
Les consommateurs d’énergie recherchent à nouveau un certain degré d’autosuffisance. La pandémie, en particulier dans ses premières phases, a entraîné une baisse significative de la demande, et lorsque les industries ont commencé à relancer leur production au fur et à mesure de la reprise, il est devenu évident que, l’approvisionnement énergétique n’était pas en mesure de répondre à la demande dans sa globalité. Il en a résulté une forte hausse des prix, une baisse des réserves de carburant ; les entreprises d’approvisionnement en énergie se sont retrouvées en difficulté, car elles avaient basé leur modèle commercial sur la disponibilité d’une énergie à bas coût sur les marchés au comptant.
Les prix élevés, ainsi que leur volatilité sur le marché énergétique, posent de réels problèmes aux consommateurs et aux entreprises. Il ne faut pas s’attendre à un retour rapide à des coûts énergétiques plus bas dans un avenir proche. Les producteurs sont confrontés à un énorme défi en matière de décarbonation et d’augmentation de l’alimentation électrique globale, afin de répondre aux besoins d’approvisionnement en électricité importants dans des secteurs tels que l’industrie et l’automobile.
Suite à cela, la gestion économique de l’énergie va évoluer encore plus, en faveur de la production d’énergies renouvelables distribuées. Dans la plupart des régions, le prix par kWc de la production photovoltaïque est désormais inférieur au coût par unité de combustible fossile comparable. Cela signifie que la production d’énergie photovoltaïque sur site, combinée à des solutions de stockage d’énergie efficaces, peut apporter un certain degré d’autosuffisance énergétique aux entreprises, ce qui leur permettra de faire face plus efficacement aux fluctuations du marché énergétique et de contribuer à un système de réseau électrique plus flexible et plus résistant.
Étant donné que les énergies renouvelables sont désormais disponibles à un coût marginal presque nul, on peut par exemple y voir le passage d’un marché énergétique centré sur la production d’énergie en gros à un marché qui repose sur la capacité à mettre l’énergie à disposition du consommateur au bon endroit et au bon moment. Bien sûr, il s’agit d’une situation qui fait écho à une époque antérieure à la centralisation des ressources énergétiques, et cette décentralisation aura des conséquences importantes.
L’association de l’énergie renouvelable et du stockage sur site est une solution « gagnant-gagnant » pour les entreprises. Elles peuvent économiser de l’argent en utilisant l’énergie produite pour compenser les besoins en électricité de leur réseau et en revendre une partie à ce dernier (si cette option est disponible), tout en l’exploitant pour décarboner et renforcer la résilience de leurs opérations. Pour les réseaux électriques publics, le stockage d’énergie, en tant que ressource flexible à faible émission de carbone, aide à gérer les différences entre la génération et la demande liées à la gestion intermittente de l’énergie éolienne et solaire. Cela permet à ces réseaux de réduire de manière importante les besoins en matière de renforcement du réseau, tout en proposant une capacité ferme.
Bien sûr, ces changements seront également rendus possibles et favorisés par la numérisation croissante des systèmes énergétiques. Un élément clé de la transition vers le zéro net sera la flexibilité de la demande, réduisant les exigences de certains consommateurs industriels en cas de baisse de l’offre, afin de garantir la disponibilité de l’alimentation pour les systèmes et applications critiques. Pour atteindre cette flexibilité, une visibilité étendue sur les actifs en aval du compteur, ainsi que la possibilité d’interagir avec ces derniers, seront nécessaires. Or, en général, les réseaux de distribution ne disposent d’aucune donnée granulaire à ce sujet.
Par conséquent, le réseau électrique sera plus important que jamais. Il joue déjà le rôle de système de surveillance et de gestion de l’énergie hautement sophistiqué ; le défi à l’heure des « prosommateurs » (c’est-à -dire les consommateurs qui produisent également de l’énergie), est de s’appuyer sur un réseau électrique suffisamment robuste et intelligent pour gérer un flux bidirectionnel.
Cependant, il est évident que ce défi concerne aussi bien l’évolution des mentalités que les changements technologiques. On constate une prise de conscience croissante des mécaniques du marché énergétique de la part des consommateurs, ainsi qu’une acceptation croissante par l’industrie et l’administration du rôle de l’utilisateur dans le maintien de la stabilité du réseau électrique. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour qu’une réflexion approfondie sur le mode d’utilisation et les sites de génération de l’énergie fasse partie intégrante du monde professionnel et de la vie de tous les jours.
Les résultats de la conférence COP26 illustrent la difficulté de cette transition, car, malgré une pression intense pour obtenir un accord sur la réduction d’émissions et l’optimisme exprimé à haute voix, un grand nombre de personnes ont estimé que les résolutions étaient trop limitées et insuffisantes pour donner lieu à un réel changement. La conversion de la volonté politique et du soutien public en résultats tangibles nécessitera des innovations en termes de politiques et une grande cohérence, afin de permettre aux entreprises et aux particuliers d’interagir plus facilement et plus intelligemment avec le réseau électrique.
2022 devrait marquer le début d’une prise de conscience sur le fait que la gestion de l’énergie implique des décisions à prendre de plus en plus au niveau régional et local. Un nombre croissant de consommateurs opte pour des véhicules électriques, et l’électrification des transports va entraîner de nouveaux changements dans notre relation avec l’énergie. Les entreprises seront quant à elles confrontées à la pression liée à l’application de nouvelles approches de gestion de l’énergie, conformément à leurs aspirations en matière de développement durable.
Cependant, ces changements ne pourront pas se produire immédiatement. En effet, il n’est pas simple de modifier radicalement la technologie et la gestion économique de l’infrastructure stratégique actuelle. L’ensemble des avantages liés à la flexibilité ne sera débloqué que lorsque des systèmes intelligents, bidirectionnels et distribués seront déployés à grande échelle. La décision de les adopter doit donc être prise par une multitude de parties prenantes, qu’il s’agisse de multinationales ou de particuliers. Par conséquent, une réglementation claire en matière de déploiement et d’intégration des actifs de flexibilité est nécessaire, afin de rendre le réseau électrique fiable, sûr et prêt pour un avenir très différent.