Le programme PVPS de l’IEA a un nouveau président. Et il est français. Il s’agit de Daniel Mugnier, ingénieur au bureau d’études Tecsol depuis une quinzaine d’années, et actuellement responsable de l’agence Tecsol de Lyon en région AURA. Expert français respecté du photovoltaïque et du solaire thermique, il a présidé le Solar Heating & Cooling TCP (IEA SHC) jusqu’en 2021. Interview exclusive pour le magazine de Tecsol et le blog de Tecsol !
Plein Soleil : Félicitations déjà pour la présidence du programme PVPS de l’Agence Internationale de l’Energie qui revient à la France pour deux ans. Quelles sont les missions d’un président de PVPS ?
Daniel Mugnier : Les missions qui m’incombent sont plurielles. Il s’agit déjà dans un premier temps d’assurer la représentation du programme PVPS vers l’extérieur et vers l’Agence Internationale de l’Energie, d’en gérer le budget et d’en coordonner les différentes activités. Dans un second temps, et pour élargir l’influence du programme, je vais m’attacher à nouer des partenariats avec d’autres institutions internationales du solaire. Il est à noter que l’honneur que j’ai de piloter pour les deux ans à venir ce programme PVPS si renommé pour son excellence scientifique, n’a été possible que grâce au soutien très actif de l’ADEME qui a compris que la France devait au maximum prendre part activement par des postes clés à l’essor du solaire au niveau international, notamment via l’innovation.
« Le déploiement du PV devrait être décuplé pour faire face aux objectifs de la COP21 à Paris »
PS : Après plus d’un an de pandémie comment s’est comporté le marché PV mondial ?
DM : Le marché mondial du PV a fait preuve d’une exceptionnelle résilience par rapport à la crise de la COVID-19. Certaines économies émergentes à l’image du Vietnam (11 GW) ont vu leur marché littéralement s’envoler, prenant le relais de marchés plus traditionnels. Ceci montre bien que le photovoltaïque est une énergie à présent totalement mondialisée et pour laquelle l’influence de certaines « bulles » locales ou nationales s’estompent grandement. Comme le conclut très bien le rapport phare de notre programme, le Snapshot (https://iea-pvps.org/wp-content/uploads/2021/04/IEA_PVPS_Snapshot_2021-V3.pdf), la contribution du PV à la décarbonation du mix énergétique progresse, le PV économisant jusqu’à 875 millions de tonnes d’équivalent CO2 au niveau mondial. Cependant, beaucoup reste à faire pour se décarboner totalement. Le déploiement du PV devrait être décuplé pour faire face aux objectifs définis lors de la COP21 à Paris.
PS : Quid dans l’Hexagone ?
DM : En France, nous avons une situation totalement paradoxale : d’une part la population, les collectivités, les plans pluriannuels d’investissements mis en œuvre par l’Etat convergent tous vers une volonté de croissance très importante de la technologie, les acteurs industriels sur toute la chaîne de valeur s’organisent, innovent et montrent que la filière est mature. Mais d’autre part, vu de l’international, le France demeure un marché de « deuxième division » pour paraphraser le jargon footballistique d’actualité en ce début d’été. Notre marché en 2020 a été même inférieur à celui de nos amis belges ce qui mérite vraiment un passage à l’action immédiat pour passer à la vitesse supérieure.
PS : Pourquoi la France qui possède des atouts indéniables demeure encore toujours un peu à la traîne ?
DM : C’est justement ce qui anime en partie les travaux de notre projet spécifique (Task 1) au sein de PVPS via l’analyse des marchés. Nous observons par analyse comparative / benchmark avec les autres pays phares similaires (pays de l’OCDE en particulier) que le cadre français est beaucoup moins stimulant naturellement que ses homologues : encadrement administratif très souvent contraignant, réseau électrique très maillé et coût moyen de l’électricité relativement faible, contenu carbone faible de notre électricité, limitation historique de notre potentiel au sol… Cependant, rien n’est figé et nous pouvons faire preuve d’optimisme car les pouvoirs publiques français à l’échelle nationale mais aussi et surtout les collectivités locales ont maintenant pleinement saisi que nos atouts – notre réseau en particulier – sont compatibles avec une croissance accélérée du solaire.
« L’élan de la baisse des prix sera là à nouveau dès 2022 »
PS : En matière de baisse de prix et d’innovation, qui sont extrêmement liés, que peut-on attendre dans les prochaines années ?
DM : La tendance lourde que nous scrutons avec attention au niveau de PVPS, programme, qui, je le rappelle, constitue une puissance de feu unique de plus de trente pays membres mettant à contribution leurs meilleurs spécialistes au service de l’innovation du PV, est une baisse importante de prix du kWh photovoltaïque ainsi que de son contenu carbone. Le Wc à 10 centimes et le kWh à 1 centimes, seuils psychologiques, seront atteignables d’ici à 2025.
Cependant, à très court terme, comme pour quasi tout le secteur de la construction voire de l’énergie, nous allons sans doute observer une inflexion temporaire de cette baisse de coûts en raison de la relance économique mondiale qui engendre des pénuries de matériaux. Cela aura un impact sur les coûts globaux finaux du solaire, c’est attendu. Mais l’élan de la baisse des prix sera là à nouveau dès 2022. Ce qui nous fait dire cela sans hésitation réside dans le potentiel d’innovation à tous les niveaux : cellules, modules, systèmes, intégration, services. Pour preuve la relance massive des investissements en R&D dans de nombreux pays emblématiques à l’image des USA.
PS : Quelles sont les technologies qui selon vous sont susceptibles d’émerger ?
DM : Plutôt que de parler de très grandes surprises et de technologies disruptives, notre secteur actuellement profite d’une mondialisation des efforts d’innovation ainsi que du fruit de la recherche amont de nombreux centres d’excellence. L’hétérojonction et la logique du « mille-feuille » autour de la base silicium nous permettent d’envisager des rendements toujours plus performants. En effet, une cellule PV sera de plus en plus un objet capable de valoriser une grande quantité de photons par unité de surface, et ce à coût de fabrication quasi constant voire décroissant.
Mais autour de cette assise technologie autour du silicium traditionnel, les couches minces n’ont pas dit leurs derniers mots, notamment pour adresser des applications encore trop rarement conquises : bâtiment, transports… Enfin, le maître mot de notre filière sera de revendiquer le statut de champion du contenu carbone pour nos systèmes solaires, et ce, du berceau à la tombe. Ce sera un marqueur crucial.
« La résilience du solaire et sa robustesse à 30 ans et plus doit être conservé »
PS : L’agrivoltaïsme est un sujet de plus en prégnant dans le monde notamment dans sa faculté à étendre le potentiel foncier pour la production d’énergie. Comment voyez-vous son développement ?
DM : Comme toujours, notre programme PVPS s’intéresse aux applications émergentes et prometteuses. L’agrivoltaïsme n’échappe pas à cela au niveau mondial. Notre nouveau programme de la Task 13 (https://iea-pvps.org/research-tasks/performance-operation-and-reliability-of-photovoltaic-systems/)  inclura une analyse des innovations dans ce domaine dès 2022. Il est intéressant de constater que la France dispose de pionniers mondiaux en la matière. En France et dans le monde, la croissance de l’agrivoltaïsme est assurée, notamment dans tous les territoires où existent des tensions dans l’aménagement des espaces par-delà l’urbain et le périurbain. Une grande tendance issue des premières analyses internationales, notamment des projets en Asie dotés d’une certaine maturité, fait apparaître que l’agrivoltaïsme doit compenser son surcoût par unité d’énergie verte produite par la valeur ajoutée qu’elle apporte à l’activité agricole. Pour faire simple, il sera toujours plus facile de réaliser de l’agriPV au-dessus d’un grand Cru de Gevrey Chambertin plutôt qu’au-dessus de champs de salades dans le sud de la France. Mais, et il y a aussi ici une réelle ajoutée apportée par nos experts, la percée de technologies innovantes dont fait partie d’agrivoltaïsme devra être synonyme de simplicité voire même de rusticité dans son utilisation. La résilience du solaire et sa robustesse à 30 ans et plus doit être conservé, qui plus est pour être compatible avec une utilisation dans le monde, synonyme de temps long.
PS : Quel message souhaiteriez-vous passer aux politiques et aux citoyens pour faire du solaire l’énergie de demain ?
DM : Le solaire en 2021 et pour la décennie à venir est selon la formule consacrée par l’Agence Internationale de l’Energie, le « nouveau roi des marchés de l’énergie ». La France possède tous les atouts (savoir faire industriels, filière, réseau électrique, infrastructure) pour devenir un leader mondial en terme de savoir et savoir-faire. Le solaire pourrait aisément nous permettre de créer plusieurs dizaines de milliers d’emplois supplémentaires dans tous nos territoires : fabrication de modules et de composants pour les projets, installation, exploitation, R&D et services à l’export…
Mais surtout, le solaire devra permettre de réconcilier le monde de demain avec l’énergie : approche locale et circulaire, appropriation des moyens de production par les citoyens, mise en place de mécanismes de sobriété énergétique grâce à l’incarnation de l’électricité sur des supports que nous côtoierons tous les jours, à côté de nous, dans notre vie quotidienne. En cela, je voudrais conclure sur une idée simple et concrète que de nombreux pays font déjà naître, notamment en Europe : pourquoi ne pas profiter de notre impératif besoin urgent et massif de rénovation énergétique des bâtiments existants pour massivement déployer le solaire sur nos toits ? C’est à mon sens une des opportunités évidentes pour le solaire !
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