Longtemps considérée comme une technologie onéreuse et sans plus-value concrète, les panneaux photovoltaïques bifaciaux sont en passe de devenir incontournables et représenteront la majorité des nouvelles installations d’ici quelques années. Quels sont les avantages et les déterminants de cette nouvelle technologie ? Quelles conséquences peut-elle avoir sur la conception des parcs solaires ? Le point sur ces questions avec Benoit Posté, chef de projet innovation chez ENGIE Green.
PS : Qu’est-ce qu’un panneau bifacial et quels sont ses atouts ?
Benoit Posté : Le principe d’un panneau solaire bifacial est qu’il est capable de produire de l’énergie à l’avant et à l’arrière, contrairement aux panneaux monofaciaux dont l’arrière ne produit pas d’énergie. Tandis que la face avant capte directement la lumière du soleil, la face arrière capte celle qui est reflétée par son environnement (sol, rangée voisine de panneaux solaires, etc.) ainsi que par les nuages. Logiquement, le panneau bifacial est donc capable de produire plus d’énergie que le panneau monofacial, en moyenne 3 à 4 % en plus. L’augmentation de son rendement est cependant très variable. Elle dépend d’abord du facteur de bifacialité des panneaux, c’est-à -dire la puissance de la face arrière comparée à celle de la face avant. A éclairage égal, la face arrière produit en effet 5 à 40 % d’énergie en moins que la face avant, selon la qualité du panneau. Plus le facteur de bifacialité est élevé, plus la production de la face arrière est importante et plus le gain de productivité du bifacial par rapport au monofacial est donc important. L’augmentation du rendement du panneau bifacial dépend aussi de l’environnement dans lequel il est placé, et de la manière dont celui-ci lui permet de capter la lumière. Il y a d’abord l’albédo du sol, qui mesure son pouvoir réfléchissant, autrement dit la quantité de lumière qui sera renvoyée vers la face arrière des panneaux bifaciaux, de 0 (pour un corps noir parfait) à 1 (pour un miroir parfait). Ensuite, la hauteur et l’espacement des tables : plus elles sont hautes et espacées, plus elles laisseront passer la lumière et plus le rendement augmentera. Enfin, l’inclinaison des panneaux : une plus grande inclinaison favorise le rendement de la face arrière… mais est aussi susceptible de diminuer le rendement de la face avant.
« Evaluer l’intérêt du bifacial dans tout un panel de situations »
PSÂ : Comment utiliser au mieux cette technologie ?
BP : C’est là un vrai défi pour les développeurs d’énergies renouvelables. Sur les parcs solaires classiques avec modules monofaciaux, l’expérience nous a permis de définir de manière assez homogène la solution optimale en termes d’inclinaison, de hauteur, d’espacement… Avec les modules bifaciaux, tout est à redéfinir. Certains aspects de la conception qui pouvaient paraître insignifiants peuvent maintenant devenir importants, comme la forme de la structure qui soutient les panneaux, qui peut générer de l’ombrage et limiter le rendement de la face arrière. C’est pourquoi il est très important de pouvoir tester cette technologie et engranger des informations grâce aux retours d’expérience. Chez ENGIE Green, à la suite des tests menés dès 2018 par ENGIE Laborelec (centre de recherche et d’expertise dédié aux technologies de l’électricité du Groupe) sur son site expérimental au Chili, nous avons lancé quatre projets de développement en France, avec des caractéristiques très différentes. Cela nous permettra d’évaluer l’intérêt du bifacial dans tout un panel de situations. Nous avons donc choisi des sites avec des albédos variés, allant du plus élevé, sur le site de Thémis dans les Pyrénées-Orientales – grâce à la haute altitude et à l’effet-miroir de la neige – au plus commun, sur le site de Bessières, en Haute-Garonne qui est une zone enherbée en passant par des sites légèrement favorables comme Lannemezan (Hautes-Pyrénées), sur une ancienne carrière de craie. Sur le site de Bessières, le projet permettra de tester à la fois des structures standard et des structures optimisées pour limiter les ombrages, afin de caractériser le gain de productivité par rapport au surcoût. Enfin, sur le site de Gueltas (Morbihan), qui est un centre d’enfouissement technique à casiers, le sol a une géographie spécifique qui surélève de facto les panneaux et peut contribuer à impacter le rayonnement en face arrière. Ces parcs seront mis en service entre avril 2021 et avril 2023. Notre objectif est que ces démonstrateurs permettent de récupérer un maximum d’informations pour caractériser les gains possibles du bifacial.
« Les modules bifaciaux pertinents pour l’agrivoltaïsme »
PS : Quelles perspectives de développement pouvons-nous anticiper ?
BP : La technologie bifaciale n’est pas nouvelle : le premier brevet a été déposé en 1966. Mais les modules bifaciaux ont longtemps été beaucoup plus onéreux que les modules monofaciaux, et donc non viables commercialement jusque très récemment. Ils sont désormais commercialisés par la majorité les fabricants de panneaux solaires photovoltaïques, et l’écart de prix avec les panneaux monofaciaux s’est beaucoup réduit. Cette évolution des prix des panneaux explique pourquoi ils deviennent peu à peu incontournables : selon la feuille de route 2020 de l’International Technology Roadmap for Photovoltaics (ITRPV), la part du marché des modules photovoltaïques bifaciaux augmentera régulièrement pour atteindre 45 % des nouvelles installations en 2024 et 70 % en 2030. De notre point de vue, les panneaux bifaciaux pourraient s’avérer particulièrement pertinents pour l’agrivoltaïsme, où l’enjeu est justement de laisser passer la lumière entre les panneaux. Les parcs agrivoltaïques sont dotés de structures de types trackers, qui permettent d’orienter le panneau en fonction de la position du soleil. Or, avec les trackers, le gain de productible des panneaux bifaciaux pourraient être sensiblement plus élevés, de l’ordre de 10 %. De manière générale, le bifacial devrait petit à petit remplacer le monofacial, en commençant par les sites avec les albédos les plus élevés. Le monofacial, quant à lui, restera utilisé pour les plus petits usages comme les toitures résidentielles.