A l’heure où d’aucuns voient le développement de l’énergie solaire photovoltaïque comme un danger pour le bien commun, David Marchal, Directeur exécutif adjoint de l’expertise et des programmes de l’ADEME, tient à calmer le jeu et appelle à se projeter dans un monde où l’électromobilité deviendra dominante. Et l’énergie solaire de devenir une alliée de poids pour l’ensemble du réseau. Etudes à l’appui.
Plein Soleil : Il est de bon ton dans certaines sphères de dénigrer l’autoconsommation photovoltaïque sous prétexte qu’elle créerait une forme de communauté éloignée du bien commun qu’est le réseau électrique. Une vision à courte vue selon vous à l’aune du grand boom de l’électromobilité ?
David Marchal : D’abord, l’idée qui suggère que l’autoconsommation photovoltaïque isole du réseau ne relève d’aucune logique puisque ces installations ne sont pas déconnectées du réseau. En matière de solaire, il faut avant tout réfléchir à l’optimisation globale du réseau à la maille France, voire européenne et se projeter comme nous avons pu le faire dans notre étude  « trajectoires d’évolution du mix électrique 2020-2060 » pour à différents horizons. Une des données à intégrer est bien sûr le développement massif du véhicule électrique et du stockage dans l’écosystème énergétique. Pour être compatible avec les ambitions de la SNBC, on parle de 20 millions de véhicules en 2050 et de 30 millions en 2060 dont il faudra gérer au mieux la recharge pour éviter les pointes de consommation.
« Des pics de demande d’électricité aux heures méridiennes »
PS : Cela veut dire que le réseau aura plus que jamais besoin d’énergie solaire à l’avenir ?
DM : C’est une évidence. La production photovoltaïque a une vraie valeur pour la collectivité. Elle affiche de plus un double intérêt. Elle produit en journée lorsque la demande est plus forte. Ainsi, elle pourrait permettre aux véhicules électriques de se recharger à faible coût économique et écologique et éviter d’écrêter les pics de production solaire. Les véhicules électriques devraient être rechargés aux heures méridiennes qui deviendront des heures creuses photovoltaïques que l’on connaît aujourd’hui la nuit avec la production nucléaire. En consommant ainsi à ce moment de forte production, les VE vont permettre de maintenir le prix de marché à un niveau suffisant, ce qui, en retour, permettra de maintenir une certaine rentabilité à la production solaire.
PS : Avec à la clé des besoins de flexibilité accrue ?
DM : Dans un mix électrique renouvelable, si l’on réalise une analyse des besoins de flexibilité en charge résiduelle[1], à l’échelle journalière, le principal facteur repose sur la capacité solaire installée. Tant qu’il reste faible, le taux de pénétration du PV joue dans le sens d’une réduction des besoins de flexibilité journaliers, comme on peut le constater en 2020 : l’été, le pic de production, quand l’ensoleillement est maximal, permet d’absorber le pic local de demande à la mi-journée. A l’horizon 2050, le pic de production solaire très important à la mi-journée crée un creux de demande résiduelle, ce qui témoigne d’une accentuation des besoins de flexibilité journaliers. Et face à cela, bonne nouvelle, les véhicules électriques, dès lors qu’on permet leur recharge intelligente, constituent un actif de flexibilité tout à fait en mesure de faire face à ces nouveaux besoins de flexibilité du système électrique.
Cela aura pour effet comme déjà suggéré de maintenir le prix de vente du PV sur le marché à des niveaux très acceptables. Même avec une capacité installée de 80 GW, comme il est envisagé dans l’étude 100% EnR, tous ces GW solaires demeurent rentables sans soutien public. La forte demande absorbe la production. Il s’agit là d’un optimum pour l’ensemble de la communauté énergétique.  Et dans le même temps, on est très proche d’une logique d’autoconsommation : je consomme l’électricité pour charger un VE au moment où la production PV a lieu.
« Développer la flexibilité » Â
PS : La flexibilité est donc le maître mot pour conserver les équilibres entre production solaire et demande d’électricité ?
DM : Aujourd’hui, la collectivité veut massivement se tourner vers le véhicule électrique. En contrepartie, vous avez raison, elle doit mettre tout en Å“uvre pour développer la flexibilité. Nous devons nous assurer que les infrastructures – installations solaires, bornes de recharge – et les comportements des usagers permettront une flexibilité la plus efficiente possible pour le rechargement des véhicules. Si tout le monde recharge son véhicule à 19h00 en 2050, il y aura de quoi provoquer une défaillance de l’équilibre offre-demande. Et même bien avant d’ailleurs ! Il faut d’ores et déjà équiper les véhicules électriques et les stations de recharge intelligente, pour « faire le plein », au bon moment, au bon endroit.
PS : Le comportement des usagers sera aussi un facteur déterminant. Qu’en est-il aujourd’hui ?
DM : D’après une étude réalisée par Enedis, la majorité des répondants sont prêts à décaler la recharge de leurs véhicules pour éviter les pics de consommation : 58% des répondants se disent prêts à décaler leur recharge pour limiter les pics de consommation tandis que 38% des répondants ne sont pas prêts à le faire. Ce  taux atteint 47% parmi les habitants en immeuble et 54% parmi ceux qui effectuent leur recharge principale sur leur lieu de travail. Il est certain qu’il va falloir faire preuve de pédagogie mais aussi mettre en place des incitations, peut-être à l’achat du véhicule, pour rendre plus performant encore le pilotage de la demande.
« L’enjeu de faciliter la recharge sur les lieux de travail »
PS : Et quel rôle peuvent jouer les employeurs dans ce contexte ?
DM : L’intérêt de développer conjointement le PV et l’électromobilité fait encore plus sens sur les lieux de travail, sur lesquels le véhicule est stationné en journée et pendant un temps long, ce qui est propice à la visibilité requise pour la flexibilité et à limiter les forts appels de puissance liés aux recharges rapides. Mettre en place une ombrière de parking avec une recharge intelligente au bureau présente beaucoup d’intérêts pour les collaborateurs mais également du point de vue du bien commun : elle maintient le véhicule à l’ombre et au frais, permet de développer du PV sans artificialiser de nouveaux espaces, favorise la recharge d’un véhicule inutilisé et stationné pendant la journée, et … autorise, avec la surface d’une place de parking, de produire assez d’électricité pour rouler 12 000km par an, à condition d’optimiser la charge.
« Faire évoluer la tarification du réseau »
PS : A voir vos projections sur les usages à venir de l’énergie solaire, voilà qui a de quoi lever les réticences des conservateurs frileux sur le déploiement du solaire n’est-ce pas ?
DM : Les citoyens sont de plus en plus demandeurs d’énergie solaire photovoltaïque décentralisée. Ils ont aussi beaucoup d’appétence pour l’autoconsommation individuelle mais aussi collective. C’est d’ailleurs une très bonne chose, souhaitable, parce qu’elle permet, comme d’autres actions, une appropriation et un engagement sur les questions liées à la transition écologique. Et dans ce cadre, il est nécessaire à n’en pas douter de  faire évoluer la tarification du réseau applicable à ces opérations, notamment pour les opérations collectives. Les adaptations aujourd’hui en place pour les opérations d’autoconsommation électrique étendue (dans un rayon maximum de 2 km) ne permettent pas de donner un signal positif aux opérations d’autoconsommation collective. La question est certes complexe car ces évolutions doivent respecter le principe de couverture des coûts de réseau, et l’équilibre économique sera donc délicat à trouver. Mais de là à voir des communautés se déconnecter du réseau comme le craignent certains… il y a un fossé.
PS : Que voulez-vous dire ?
DM : La forte percée des énergies renouvelables permet au taux d’autonomie des territoires de grandir à l’instar du taux d’interdépendance qui croît également à vitesse grand V. En fait, chaque territoire produit plus d’électricité localement, mais il devient encore plus dépendant de ses voisins et de leurs ressources, souvent complémentaires, dans une configuration où le réseau demeure plus que jamais indispensable. Et puis vous savez, les îlots électriques indépendants génèrent des surcoûts qui sont totalement dénués de pertinence, sauf lorsqu’il n’y a pas d’autres solutions. Le réseau a besoin de l’énergie solaire, comme l’énergie solaire a besoin du réseau !