Vous connaissez le luddisme théorisé par l’historien britannique Edward P. Thompson (1924-1993) ! Le luddisme n’est autre qu’un conflit industriel violent qui a opposé dans les années 1811-1812 en Angleterre des artisans tondeurs et tricoteurs sur métiers à bras aux employeurs et  manufacturiers qui favorisaient l’emploi de métiers à tisser dans le travail de la laine et du coton. La lutte des membres de ce mouvement clandestin, appelés luddites, s’est caractérisée par les « briseurs de machines ». Le terme « luddisme » est ainsi utilisé pour désigner ceux qui s’opposent aux nouvelles technologies ou les critiquent ardemment. On parle alors même de néo-luddisme.
Le luddisme est un syndrome assez répandu dans l’ensemble des secteurs d’activités, il est vrai, soumis ces dernières années, à une accélération des mutations portées par la révolution digitale. Partout, le progrès a ses contempteurs. Mais il est un domaine où le luddisme s’épanouit avec ardeur : le monde de l’énergie. Et ce n’est pas la prestation de Jean-François Carenco, président de la commission de régulation de l’énergie (CRE) lors de son audition, le 7 juillet dernier, par la commission économique de l’Assemblée nationale, qui prouvera le contraire. Elle est le parangon type de ce conservatisme amer, voire haineux, face au développement des nouvelles énergies vertes.
A ce titre, l’aversion de Jean-François Carenco pour l’autoconsommation photovoltaïque, qui plus est si elle est collective, représente l’exemple parfait d’un néo-luddisme décomplexé, propos comminatoires à la clé. Evoquer sur le sujet un communautarisme dangereux sur fond d’effondrement du bien commun qu’est le réseau électrique relève d’une mauvaise foi symptomatique. Aujourd’hui en France, il n’y a qu’une dizaine de milliers d’autoconsommateurs contre plus d’un million et demi en Allemagne et des centaines de milliers en Italie. En matière d’autoconsommation collective, on ne compte que quelques dizaines de projets dans l’Hexagone. Pas de quoi crier au loup ! N’en déplaise à monsieur Carenco, le financement du réseau est encore loin, très loin d’être en danger.
Cet attachement viscéral à un monde centralisé de l’énergie du président de la CRE est à trouver dans la structure jacobine de la formation étatique des élites françaises issues des grandes écoles – ENA pour Jean-François Carenco –  mais aussi dans cette culture de la rente, induite au modèle centralisé de l’énergie. Faudrait-il que tout change pour que rien ne change ? La rente est à préserver coûte que coûte même au détriment d’un mieux économique, technologique et climatique que permet l’énergie solaire digitalisée. Cette énergie innovante potagère est inscrite dans le sens de l’histoire et dans celui des circuits-courts, en direct du producteur au consommateur. Les tomates et les radis des potagers bio ruinent-ils les professionnels des fruits et légumes ? La daurade accrochée à l’hameçon du pêcheur du dimanche met-elle en péril la filière halieutique ? Les produits de beauté faits maison font-ils du tort au géant l’Oréal ? Que nenni. Ils répondent juste à des aspirations profondes de citoyens en attente d’autre chose, de local, de respectueux pour l’environnement. Et la vague verte des dernières élections européenne et municipales corrobore largement la prégnance de ces nouveaux désirs citoyens. Les ignorer serait un déni de démocratie…
Non, le président de la CRE n’est pas un « briseur de machine » comme les luddites. Pire, il est un « briseur de rêve ». L’envie d’énergie solaire est prégnante. L’envie de produire et d’autoconsommer sa propre énergie est forte. L’enquête terrain du Baromètre 2020 de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) qui s’est déroulée du 18 novembre au 3 décembre 2019, avant le début de la pandémie du Covid-19 montre ainsi que le solaire est plébiscitée par 91% des sondés. « Vous devez être le changement que vous voulez voir dans ce monde » disait Gandhi. N’en déplaise au président de la CRE…