Le 7 avril dernier, la commission des affaires économiques du Sénat appelait le Gouvernement à faire de la « neutralité carbone » l’aiguillon du plan de relance, afin de sortir de la crise économique sans dévier de nos engagements énergétiques et climatiques. Se voulant force de propositions, elle confiait aux sénateurs Daniel Gremillet, Roland Courteau et Daniel Dubois la mission de suivre l’impact de la crise de Covid‑19 sur le secteur de l’énergie, dans le but de relayer les difficultés des acteurs de terrain et de proposer des mesures de sortie de crise. Après avoir entendu quelques 80 personnalités au cours de 30 visioconférences, les sénateurs ont formalisé une « feuille de route pour une relance bas‑carbone ».
Les sénateurs partent d’un constat économique lucide : la crise de Covid‑19 place notre société face à un défi énergétique sans précédent, qui met à l’épreuve notre capacité à atteindre l’objectif de « neutralité carbone » issu de l’Accord de Paris de 2015. La chute globale et massive de la demande d’énergie (– 15 à 20 % pour l’électricité, – 10 à 25 % pour le gaz et – 75 à 80 % pour les carburants en France durant le confinement) et de son prix (– 50 % pour le pétrole, – 42 % pour l’électricité, – 39 % pour le gaz fin mai par rapport à un an) éprouve la trésorerie et les investissements de nos énergéticiens.
Une CSPE en baisse pourrait nuire au développement des EnR
Cette crise n’est pas positive pour les EnR, car elle érode la rentabilité des projets, renchérit les dispositifs de soutien dont ils bénéficient et diminue les recettes fiscales qui leur sont affectées. Elle ne l’est pas non plus pour le climat, la baisse de 30 % des émissions de gaz à effet de serre induite par le confinement, et qui atteindrait 5 à 15 % sur l’année, pouvant être annulée par un « effet rebond ». Loin d’être transitoire, cette crise peut avoir des conséquences durables : un effet inflationniste lors de la reprise, si la production d’énergie, déstabilisée, n’arrive pas à accompagner la demande d’énergie ; un effet dépressif, dans 2 à 3 ans, le temps que les décisions actuelles d’annulation d’investissements se répercutent. Plus grave, si le prix de marché de l’électricité (de 21 € par mégawattheure fin mai) demeure durablement inférieur à ceux (de 56 ou 42 € par MWh) servant de base au calcul des charges de gestion du service public de l’électricité (CSPE), qui sous‑tendent les dispositifs de soutien aux EnR, leur coût sera mécaniquement plus élevé que celui prévu par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) (entre 122,3 et 172,2 Mds d’euros en 2028).
« Pour un  mécanisme d’”ajustement carbone” aux frontières extérieures de l’UE »
Dans ce contexte, les sénateurs proposent, dans leur « feuille de route », 45 mesures réunies en 10 axes, visant à relancer l’économie en accélérant sa décarbonation. Parce que la transition énergétique ne peut réussir sans stabilité normative, les sénateurs appellent le Gouvernement à maintenir le cap de la « neutralité carbone », en appliquant la loi « Énergie‑Climat ». Pour Daniel Gremillet, « six mois après sa publication, le taux d’application de cette loi n’est que de 21 % pour les mesures règlementaires et de 7 % pour les ordonnances ; il est nul s’agissant des rapports. De surcroît, un quart des ordonnances accusent des retards par rapport au calendrier initial. Pour ce qui concerne la PPE, les objectifs en matière de biogaz, d’hydrogène et d’éolien en mer sont en retrait par rapport à ceux adoptés par le législateur, et les CSPE nécessitent d’être évaluées à l’aune de la crise ». En outre, les sénateurs plaident pour accompagner les énergéticiens et les consommateurs, afin de favoriser l’acceptabilité sociale de la transition énergétique. Toujours selon Daniel Gremillet, « l’urgence commande de soutenir la trésorerie et les investissements de nos énergéticiens. Il faut leur accorder des facilités de paiement pour les taxes énergétiques et élargir l’accès au fonds de solidarité. Un ″gel” résolu de la fiscalité énergétique doit être appliqué, excluant tout retour à la hausse exponentielle de la “trajectoire carbone” un temps adopté par le Gouvernement en 2017. S’agissant des ménages, ils doivent être protégés du risque accru de précarité énergétique, avec une revalorisation du chèque énergie ». Pour Daniel Dubois, « à l’échelle européenne, le mécanisme d’”ajustement carbone” aux frontières extérieures de l’Union européenne est prometteur pour rétablir une concurrence plus équilibrée ».
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« Généraliser  le ″bilan carbone” à tous les projets d’EnR pour  relocaliser leur chaîne de valeur »
Pour les sénateurs, c’est en favorisant les opérations de rénovation énergétique, les projets d’EnR ainsi que les véhicules et les carburants propres que la transition énergétique peut être intensifiée. Pour Roland Courteau, « la massification des opérations de rénovation énergétique constitue la ″clef de voûte″ de toute relance verte. Il faut soutenir les professionnels, en prenant en charge les surcoûts liés à la mise en Å“uvre des préconisations sanitaires, en facilitant l’accès au fonds de solidarité et en appliquant un ″moratoire” sur les normes nouvelles. Pour les particuliers, le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et les certificats d’économies d’énergie (C2E) doivent être renforcés. La relance verte passe aussi par la sécurisation du financement et la simplification du déploiement des projets d’EnR.  À terme, la généralisation du critère du ″bilan carbone” à tous les projets d’EnR doit permettre de relocaliser leur chaîne de valeur. Quant aux véhicules propres, il faut mobiliser la commande publique et la demande privée en leur faveur ».
Les sénateurs plaident pour les EnR sans oublier le nucléaire
Enfin, parce que l’essor de la transition énergétique doit aller de pair avec le maintien de notre souveraineté énergétique, il est crucial de consentir à l’énergie nucléaire les investissements suffisants. Pour Sophie Primas, « la production d’énergie nucléaire, largement décarbonée, constitue un atout considérable pour réaliser nos engagements climatiques. C’est pourquoi il est impératif de continuer d’investir dans ce domaine et d’associer le Parlement aux réformes envisagées par l’Éxécutif ». Pour Daniel Dubois, « nous devons préserver la compétitivité de notre électricité décarbonée, afin de maîtriser les coûts de production des entreprises et de favoriser la relance économique ». En confortant la souveraineté énergétique de la France et en accélérant la transition énergétique, il est possible, et nécessaire, de faire de la « neutralité carbone » l’aiguillon du plan de relance. La massification des opérations de rénovation énergétique constitue la « clef de voûte » de toute relance verte, tandis que la stabilité normative et l’acceptabilité sociale en sont les préalables indispensables.