Travail Collectif/ Les parcs photovoltaïques au sol consomment-ils des terres agricoles?

C’est une crainte très fréquemment exprimée : les parcs photovoltaïques (PV) au sol soustraient des terres agricoles à leur vocation première ou principale – selon les visions – qui est de produire des aliments, pour les humains et les cheptels. Quelle est la part de responsabilité des parcs photovoltaïques au sol dans la perte de terres agricoles aujourd’hui ? Quels sont les besoins d’espaces pour les parcs au sol dans les années à venir ?

L’Urbanisation artificialise 56 000 hectares en moyenne tous les ans, majoritairement autour des villes et des métropoles. S’y ajoutent les 33 000 hectares perdus par boisement naturel de terres agricoles. La maison individuelle participe au mitage de l’espace dans le péri-urbain mais aussi dans les zones rurales. Elle représentait la moitié des espaces artificialisés entre 1992 et 2004, soit 2,8 fois plus que l’extension du réseau routier. Pour le Commissariat général au développement durable (CGDD) : « La dynamique de l’artificialisation des sols est alimentée structurellement par la progression démographique. Elle est accélérée par le phénomène de desserrement des ménages. Si le rythme d’artificialisation des sols observé à partir de la base de données Teruti-Lucas se poursuit, le taux d’artificialisation, aujourd’hui de 10 %, s’élèverait à 14 % en 2050 et 20 % en 2100».

Un objectif « zéro artificialisation nette 

Densifier et renouveler la ville sur elle-même : telles sont les instructions données aux collectivités territoriales dans la rédaction de leurs documents d’urbanisme et de planification sont claires. L’intensité et le rythme d’artificialisation des sols doivent se réduire et ralentir pour préserver la biodiversité, lutter contre l’imperméabilisation des sols et préserver les terres à vocation agricole. En 2010, la loi de modernisation de l’agriculture annonçait un objectif de division par 2 des surfaces agricoles artificialisées. Avec une croissance démographique de 0,4 %, cela supposerait selon le CGDD une division par 3 de la surface annuelle artificialisée. Plus près de nous, un objectif « zéro artificialisation nette » a été fixé en juillet 2018 par le ministère de la Transition écologique et solidaire, dans le cadre du Plan biodiversité 2018, ce qui suppose la mise en place de la doctrine ERC, « éviter, réduire, compenser », concept au cœur des démarches de projet.

Les parcs photovoltaïques au sol : environ 500 hectares de terres agricoles à ce jour

Les parcs photovoltaïques au sol couvrent, selon les dernières estimations disponibles, un peu moins de 500 hectares de terres d’origine agricole, sans qu’il soit possible d’aller plus loin dans la qualification des terres concernées, faute d’observatoire dédié. A raison de 2 hectares en moyenne par mégawatt installé (de 1 à 3), un parc photovoltaïque au sol couvre en moyenne une superficie de 10 hectares4, avec aux deux extrêmes des parcs de 1 hectare et des parcs qui peuvent couvrir 100 hectares. La couverture du sol n’est pas intégrale : les deux tiers environ de la superficie sont strictement occupés par les capteurs. Toutes installations confondues, la puissance photovoltaïque installée au niveau national est de 8,9 gigawatts fin 2018 dont 8,5 gigawatts en métropole. Les parcs au sol et les ombrières de parking représentent la moitié environ de la puissance installée, les grandes et moyennes toitures 40 %. 11 % de la puissance est installée sur des petites toitures, résidentielles uniquement.

Des espaces occupés peu différenciés

Même si aucune statistique n’a été mise en place pour documenter la nature des terrains occupés par les parcs photovoltaïques, ils se sont très majoritairement implantés sur les zones naturelles, du fait d’une réglementation interdisant l’utilisation des terres agricoles (circulaire du 18 décembre 2009). Par ailleurs, certains projets ont trouvé des terrains d’accueil sur des espaces délaissés : anciens aérodromes, circuit automobile, carrières en fin d’exploitation, terrains de ball-trap désaffectés, anciennes décharges, gravières, etc. Ces terrains ont pu être ainsi requalifiés. Les agriculteurs riverains sont parfois invités à faire pâturer des moutons pour entretenir les espaces, ils peuvent ainsi dégager des compléments de revenus. Systématiquement, les développeurs mettent en place des aménagements d’intégration paysagère pour renforcer la biodiversité, via la plantation de haies par exemple ou de plantes mellifères. Certains parcs accueillent d’ailleurs des ruches en hivernage. Quelques espaces sur lesquels des projets de parcs photovoltaïques au sol ont été autorisés dans une démarche de requalification.

Ce que dit la réglementation

Si l’implantation de parcs photovoltaïques a pu, dans ses débuts, souffrir d’un manque de réglementation facilitant l’utilisation de zones agricoles par les développeurs, depuis la parution de la circulaire du 18 décembre 2009, leur implantation est désormais encadrée. Les projets sont soumis à étude d’impact. Son évaluation est réalisée par l’autorité environnementale (ici la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement – DREAL) qui produit un avis public à son sujet. Les parcelles concernées par les projets doivent être indexées pour être autorisées à recevoir ces installations de production énergétique, ce qui parfois nécessite une révision du Plan local d’urbanisme (PLU) ou une révision simplifiée, soumise à enquête publique. Un permis de construire doit être déposé qui donne lieu lui aussi à une enquête publique. Enfin, lorsque toutes ces procédures sont réalisées, il revient au préfet d’autoriser ces installations à partir de l’ensemble des éléments produits par la procédure d’instruction.

Un peu d’histoire

Jusqu’en 2011, tous les types de projets – toitures, parcs au sol, ombrières – bénéficiaient d’un tarif d’achat garanti fixé par l’État sur une durée de 20 ans. Des pratiques commerciales abusives, avec notamment la création de toitures photovoltaïques sur des bâtiments construits ex-nihilo, la création d’une bulle spéculative constituée à la faveur de tarifs bonifiés avantageux et d’une arrivée massive de panneaux à bas coûts, ont profondément écorné l’image de la filière. Ces pratiques sont en partie révolues depuis l’instauration d’un moratoire en 2010 et la mise en place d’un nouveau cadre de soutien aux projets, qui est révisé régulièrement. Depuis 2011, les projets pouvant avoir accès à un tarif garanti d’achat de l’électricité sont sélectionnés au travers d’un dispositif d’appels d’offres encadré par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ils pouvaient, jusqu’en 2016, bénéficier d’une obligation d’achat mais dont le tarif était désincitatif, ce qui a très fortement orienté les projets à se présenter aux sessions d’appels d’offres. Depuis 2016, les projets lauréats bénéficient d’un contrat de complément de rémunération avec l’acheteur, et non plus d’un contrat d’achat, pour combler la différence entre le coût de revient et le prix de référence du marché. Depuis 2019, des projets se développent hors appel d’offres, dans le cadre d’un contrat d’achat négocié sur le marché.

La question de la caractérisation du potentiel agronomique des terres

Sur les zones sensibles, les porteurs de projets doivent réaliser une étude préalable agricole qui doit montrer qu’il s’agit bien de terres abandonnées ou de faible intérêt agronomique. Cette étude présente les mesures envisagées pour éviter et réduire les impacts négatifs de l’installation, et le cas échéant, les mesures de compensation collective visant à soutenir l’économie agricole du territoire.

Les tendances et évolutions sur la place des parcs photovoltaïques au sol dans la transition énergétique

La plupart des scénarios de transition énergétique misent sur un fort développement du solaire photovoltaïque, avec un mix de grandes et de petites toitures et de parcs au sol. Traduction opérationnelle de la loi sur la transition énergétique, le projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)7 projette presque un quintuplement d’ici à 2028 de la puissance actuelle installée (9 GWc) pour atteindre entre 35 gigawatts-crête (GWc) et 44 GWc (dont 20 à 25 au sol), avec un palier de 20 GWc en 2023.

Selon une étude de l’ADEME, les friches industrielles représentent un potentiel de 49 GW, auquel on peut ajouter un potentiel de 4 GW pour les parkings. Déterminé par croisement de bases de données cartographiques et d’analyses multicritères de contraintes et de handicaps, ce potentiel doit être considéré en ordre de grandeur, et hors coût de remise en état éventuel des sites.
En effet, les sites répertoriés intègrent les anciens dépôts d’hydrocarbures, les anciens garages, épavistes, forges, des centres de stockage des déchets, etc.
Ce potentiel est inégalement réparti sur le territoire, le potentiel étant concentré dans les anciennes régions industrielles du Nord et de l’Est de la France, ainsi qu’en Ile-de-France et en Gironde.

Selon diverses projections, la consommation d’espace par les parcs au sol serait de l’ordre de 40 000 hectares d’ici à 2030, soit l’équivalent de ce qui est artificialisé tous les ans par l’urbanisation et les infrastructures. Ainsi, les terres dites « agricoles » peuvent en théorie ne pas être mobilisées, préférence méritant d’être donnée aux friches délaissés, et toitures (grandes ou petites). Toutefois, de la théorie à la réalité, il y a parfois des contraintes qui hypothèquent techniquement les projets. Toutes les toitures ne peuvent supporter le poids des panneaux photovoltaïques, des travaux d’étanchéité parfois complexes sont à engager sur les installations intégrées, les distances de raccordement au réseau sont parfois rédhibitoires. Comparées aux toitures, les installations au sol sont bien plus simples à mettre en œuvre.

L’agrivoltaïsme : des synergies qui se cherchent

 

En France, depuis 2010, on estime qu’environ 400 hectares de serres sont équipées de photovoltaïque. Les premières serres réalisées dans le cadre des prix d’achat garantis ont fait naître des serres photovoltaïques qui ne prenaient pas en compte le type de culture et les rendements de celles-ci en-dessous, une situation qui a terni l’image de la filière et qui a incité les pouvoirs publics à réviser la politique de soutien à la filière comme évoqué plus haut. La conception des serres s’est améliorée pour limiter les impacts de la perte de luminosité et adapter le choix des cultures, les itinéraires techniques et les modes de valorisation des productions (saisonnalité, etc.). L’évolution vers l’agrivoltaïsme en plein champ est le prolongement de ces réflexions, des réflexions qui interrogent la doctrine « pas de parcs photovoltaïques sur les terres agricoles ».

Le principe : un agriculteur et un producteur d’électricité solaire cohabitent sur un même espace, chacun tirant un bénéfice de la présence de l’autre. C’est en quelque sorte une déclinaison de l’agroforesterie, où arbres et cultures se développent en synergie, avec des rendements supérieurs à ceux obtenus séparément. Les cultures (vignes, légumes, céréales) sont protégées des excès du climat par les capteurs, tandis que les capteurs posés produisent de l’énergie qui est injectée dans le réseau. L’activité agricole doit y être prépondérante.

Fort développement de l’agrivoltaïsme en Asie

Le parc mondial cumulé a été estimé récemment par le Fraunhofer ISE (Allemagne) entre 2,0 et 2,5 GWc avec 1600 à 1800 projets réalisés. Si la première installation a été installée au Massachussetts, c’est surtout en Asie et en particulier en Chine et en Corée du Sud (plus de 1000 projets d’ici 2020) que le développement est le plus fort. Les structures et technologies photovoltaïques utilisées et les cultures associées sont très diverses. La plupart de ces projets ont une puissance unitaire de l’ordre de quelques MWc. Les capteurs photovoltaïques sont pilotés (orientés, déplacés) selon l’intérêt des cultures et l’évitement des « excès » climatiques.

L’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) et de nombreux autres partenaires se sont associés pour créer le premier site expérimental agrivoltaïque de France en 2009. Depuis, 9 projets sont en développement ou en cours de mise en œuvre dans le cadre de l’appel d’offres CRE4 sur la partie « installations innovantes » dont la puissance est comprise entre 0,1 à 3 mégawatt-crête. Une de ces installations a été inaugurée en 2018 : il s’agit d’un parc de 2,2 mégawatts sur un vignoble de 4,5 hectares dans les Pyrénées Orientales. A Bellegarde, près de Nîmes, depuis 2017, une installation photovoltaïque abrite 1,5 hectare d’abricotiers et un projet est en cours de développement sur 3,5 hectares supplémentaires, avec des vignes, des abricotiers et des cerisiers. Toutes ces installations relèvent encore de l’innovation et nécessitent une analyse de leurs performances dans la durée.

Dans l’attente de références nationales sur l’agrivoltaïsme

Tous les scénarios de transition énergétique – ADEME, RTE, négaWatt, … – reposent sur un mix de production d’énergies renouvelables diversifié qui intègre le développement des parcs photovoltaïques au sol. Afin de limiter de possibles conflits d’usage et d’éviter l’immobilisation de terres nourricières, priorité doit être donnée à une implantation sur des espaces improductifs, abandonnés et qui n’ont pas ou plus de valeur agronomique. Pour les anciennes terres à vocation agricole, le modèle qui permettrait une continuité d’activité agricole, voire une « renaissance » d’activité est à privilégier.
Une analyse rigoureuse des projets au cas par cas paraît préférable à une sanctuarisation a priori de toutes les terres abandonnées par l’agriculture, dans la mesure où des synergies entre la production d’électricité et de nouvelles activités agricoles peuvent se créer, avec l’adhésion des agriculteurs et des communautés d’acteurs dans les territoires. Si effectivement les sols couverts par les parcs photovoltaïques ont changé d’utilisation et peuvent être qualifiés d’artificialisés, cette artificialisation est toute relative : il est bien plus facile de démonter un parc au sol pour la « rendre » si besoin à la biodiversité ou à l’agriculture, que de transformer un lotissement en terre à blé.

Les premiers retours d’expérience devraient nous fournir très prochainement des références nationales sur l’agrivoltaïsme. Par ailleurs, la récente création de l’observatoire sur l’artificialisation des sols, dans le cadre du Plan biodiversité, fait partie des dispositifs de vigilance qui permettront d’objectiver les enjeux.
Enfin, de plus en plus de porteurs de projets de toutes tailles font appel à l’investissement participatif et citoyen, ce qui devrait faire monter ces projets en qualité, transparence, et acceptabilité.

Cet article est issu d’un travail collectif mené par Enercoop, Energie Partagée et Terre de liens pour comprendre et donner des clés de réponse sur les liens entre transitions agricole et énergétique, en s’appuyant sur le travail de décryptage de l’Association négaWatt et Solagro, et avec le soutien de l’Ademe.

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