Ces derniers mois, de nombreuses voix ont averti les pouvoirs publics : le choix de valeurs artificiellement basses pour le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire et son contenu carbone risque de conduire à un recul important dans la performance énergétique des bâtiments. Le gouvernement ignore et persévère en annonçant un arbitrage inquiétant. L’Association négaWatt dénonce fermement ce choix idéologique qui favorise une électrification massive des usages sans se soucier des possibles émissions de CO2 associées.
La ministre de la Transition écologique et solidaire Elisabeth Borne a tranché : le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire sera arbitrairement abaissé à 2,3 (contre 2,58 aujourd’hui) et l’impact climatique du chauffage électrique sera réduit de 210 à 79 gCO2/kWh. Quoi qu’en dise le gouvernement, ces valeurs sont injustifiées et peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la politique énergétique française. Elles s’ajoutent, dans le cadre de la future réglementation environnementale 2020 (RE2020), à l’abandon d’un objectif sur le bilan Bâtiment à énergie positive, ce qui marque la fin de l’ambition de ces bâtiments. L’efficacité énergétique semble passer au second plan.
Des valeurs injustifiées
L’abaissement du facteur d’énergie primaire de l’électricité à 2,3 est basé sur l’anticipation de la valeur que l’on pourrait atteindre en 2030 avec le mix électrique prévu par le gouvernement. Comme l’Association négaWatt l’avait déjà expliqué en avril 2019, cet arbitrage :
- contredit la réalité. Le coefficient serait actuellement plutôt de 2,74 selon les calculs des propres services de l’État, et il dépasserait même 3,2 si l’on calculait en analyse de cycle de vie.
- est contraire aux directives européennes sur la performance énergétique des bâtiments. En effet, les États-membres doivent se baser sur la situation actuelle du mix énergétique et non sur des hypothèses pour le futur.
Concernant les émissions de CO2 liées au chauffage électrique, la valeur adoptée n’est pas plus pertinente. Elle nie le fait qu’en hiver la production de base nucléaire ne suffit pas à répondre aux pointes de demande du chauffage électrique, et qu’il est donc nécessaire d’avoir recours à des centrales fossiles. Ainsi, le kilowattheure consommé pour le chauffage électrique est bien plus carboné que le laisse entendre la valeur de 79 gCO2/kWh. Il émet en réalité 210 gCO2/kWh.
Les conséquences sur les bâtiments neufs
C’est un véritable cadeau qui vient d’être fait aux tenants du « tout-électrique, tout-nucléaire » d’un autre âge. « Il ne faut pas avoir l’électricité honteuse » s’est justifié un représentant de la Direction générale de l’énergie et du climat début décembre. Certes, mais cela n’exclut pas d’avoir « l’électricité intelligente », c’est-à -dire favoriser les pompes à chaleur (PAC), plus efficientes, pour décarboner le chauffage des bâtiments ! Celles-ci n’auraient pas eu besoin de tricher avec la réalité physique : même avec des valeurs plus réalistes de 2,58 et 210 gCO2/kWh, n’importe quelle pompe à chaleur performante affiche un meilleur bilan qu’une chaudière gaz récente qui émet 240 gCO2/kWh. En favorisant aussi aveuglément l’électricité, la RE2020 risque de signer le retour du convecteur électrique dans les bâtiments neufs, soit un bond en arrière de plus de 15 ans en matière d’efficacité énergétique.
Les conséquences sur le parc de bâtiments existants
Au-delà de la RE2020 se joue également la stratégie de rénovation des bâtiments. En effet, si le coefficient 2,3 est appliqué tel quel au parc existant, des millions de logements chauffés à l’électricité présenteront instantanément un meilleur bilan dans le diagnostic de performance énergétique (DPE), alors même qu’aucune amélioration n’aura été apportée ni sur le logement ni sur le parc de production d’électricité. Cela semble peu compréhensible, aussi bien pour les professionnels que pour les citoyens.
Quelle est la stratégie énergétique du gouvernement ?
Rappelons-le, la transition écologique ne se résume pas à la décarbonation de nos usages. La maîtrise des consommations, y compris électriques, est tout aussi importante pour réduire l’ensemble des impacts environnementaux. Or, tout se passe comme si le gouvernement cherchait à favoriser le chauffage électrique dans les bâtiments neufs, sans se soucier des possibles émissions de CO2 associées. Comme rappelé plus haut, le chauffage électrique est loin d’être assuré seulement par les centrales nucléaires, il fait également appel aux centrales fossiles, notamment en période de grand froid. Il n’est pas trop tard pour que le gouvernement prenne la bonne direction en maintenant le coefficient d’énergie primaire à 2,58 et en conservant le même contenu carbone de l’électricité que dans l’expérimentation E+C- qui a préparé la RE2020, soit 210 gCO2/kWh, en accord avec les réalités physiques.