Par François-Régis Déhéry, Directeur Technique du Pôle Énergies renouvelables et Agrégation chez natGAS France
Alors que le marché de l’énergie commence seulement à s’ouvrir aux nouveaux acteurs, il y a d’ores et déjà le risque d’une nouvelle polarisation du marché – Et ce n’est pas une bonne nouvelle ni pour le consommateur ni pour les PME. Les acteurs du secteur, exploitants d’énergie renouvelable ou agrégateurs ont la responsabilité de contrecarrer cette évolution en s’associant, plutôt que de se laisser racheter. Le secteur de l’énergie est aujourd’hui en proie à une vague de rachats des petites entreprises par les mastodontes. Qu’il s’agisse de Direct énergie, un des premiers fournisseurs alternatifs sur le marché national, Sameole ou Langa, acteurs à fort rayonnement régional, les grands du secteur procèdent, depuis 2016, à des acquisitions stratégiques pour étoffer leur éventail de compétences.
Les Goliaths cherchent à acquérir les Davids
Le monde de l’énergie, tous secteurs confondus (développement, agrégation, fourniture), connaît actuellement un mouvement d’aspiration général des petits acteurs par de grands groupes. Pour ceux-ci, les intérêts sont divers : créer une base de clients, élargir leur palette de services ; rattraper un retard technologique — particulièrement dans des secteurs très digitalisés, comme l’agrégation, où il est plus intéressant de racheter une entreprise que d’en développer une. Soit, enfin, contrôler tous les maillons de la chaîne de l’énergie : développement des installations, exploitation, production et revente sur les marchés ou aux consommateurs finaux. Pour ces Goliaths, le but est bien sûr d’étendre leur emprise en avalant la potentielle concurrence que représentent les acteurs indépendants.
Les Davids mis en difficulté
Pour comprendre ce qui pousse ces petits acteurs, les David, à se « laisser racheter » par des Goliaths, il faut savoir qu’il s’agit essentiellement de PME régionales en quête de financement rendus nécessaires, entre autres, par des barrières administratives lourdes. En France, il faut en compter jusqu’à 7 ans avant qu’une installation de production d’énergie renouvelable éolienne puisse être enfin exploitée, contre 4 voire 3 ans en Allemagne. Pendant cette période, les salariés n’en doivent pas moins être rémunérés ; ce qui représente un effort financier soutenu pour l’entreprise. Ensuite, à cause d’une pression sur les rendements financiers, due à une forte compétition entre les installateurs pour décrocher des tarifs de rachats garantis.
En dépit de la baisse du coût de production des énergies renouvelables, les petits producteurs, rognent sur leur marge pour remporter ces appels d’offres. Pris en tenaille entre la lenteur administrative et des rendements qui s’amenuisent, ceux-ci, menacés d’asphyxie, se tournent donc naturellement vers de plus gros producteurs susceptibles de les soutenir.
La polarisation du marché nuit aux consommateurs
Cette concentration pénalise en premier le consommateur, qui a beaucoup gagné de l’éclatement des acteurs, suite à la libéralisation du marché de l’énergie. Plus de concurrence permet aux clients de bénéficier de nouveaux services et de meilleurs prix. Le problème est que les petits acteurs nés de la libéralisation cherchent plus volontiers la protection que la complémentarité. La fusion à la synergie. C’est aujourd’hui ce qui les place face à la menace d’être absorbés par de gros acteurs, qui rachètent ainsi leur compétence technique et leur portefeuille d’installations.
Le regroupement des Davids pour faire face aux Goliaths
Quitte à s’associer, mieux vaut le faire avec un égal, un autre David plutôt qu’un Goliath, car vendre sa compétence, son cÅ“ur de « métier » et a fortiori sa « donnée », c’est se mettre à nu. Un rapport égalitaire permet des transferts de connaissance, là où, avec un gros acteur, ce transfert s’effectuera à sens unique. Les petits acteurs ont pour eux la force de l’innovation, l’ancrage dans le territoire, une « identité » et la flexibilité des personnes et des procédés qui leur permet d’être réactifs. Il faut donc mettre en commun ces avantages pour mieux les valoriser : cette coopération doit s’appuyer sur un ADN proche, une vision commune et des compétences complémentaires : en s’unissant, par exemple de façon régionale, les acteurs pourront garder la visibilité de leur message tout en favorisant les circuits courts et en participant au développement local.
En s’associant plutôt qu’en se résignant à être rachetés par un Goliath de l’énergie, exploitants, agrégateurs et consommateurs pourront bâtir des modèles plus compétitifs. Ensemble, les David seront capables de préserver la concurrence nécessaire au dynamisme du marché et leur indépendance si chèrement acquise.