A l’heure de la COP 23 à Bonn, Grégory Lamotte, fondateur de Comwatt, évoque l’exemple allemand, qui même s’il connaît quelques avatars, se situe dans une belle dynamique. Et la France dans tout ça ? Interview.
Plein Soleil : L’Allemagne accueille là 23e COP à Bonn depuis le 15 novembre. Outre-Rhin, un virage radical a été opéré après Fukushima dans le domaine énergétique avec la mise en place d’une transition écologique et un abandon de l’énergie nucléaire et à plus long terme carbonée. Où en en est l’Allemagne ?
Gregory Lamotte : Contrairement aux Français, les Allemands rament tous dans le même sens, ils savent où ils vont. L’Allemagne est loin de faire un sans faute en matière de transition énergétique. Son bilan carbone s’améliore trop lentement, les smart-meters sont en retard, mais ce qui est important pour les générations futures ce n’est pas la situation de départ mais la dynamique. En 1990 les Allemands avaient 4% d’énergie renouvelable, tandis qu’à la même époque en France, nous en avions 12%. Aujourd’hui, en 2017, les Allemands sont à plus de 30% et la France est à 18%. On voit bien que la dynamique n’est pas du tout la même. Les Allemands ont vraiment engagé la transition tandis que les Français sont au point mort.
PS : Reste que la transition demeure longue à mettre en place ?
GL : Oui, effectivement. L’Allemagne a fait un choix politique de sortir du nucléaire, et elle ne pouvait pas sortir au même temps du nucléaire et du charbon. Ils ont fait un choix et ils ont priorisé la sortie du nucléaire. En Allemagne, toute la production nucléaire est sur le point d’être abandonnée. Pour l’instant, cette baisse de production a été entièrement compensée par l’augmentation des énergies renouvelables et par les progrès de l’efficacité énergétique, avec une baisse de la consommation. En revanche, cela n’a pas permis de baisser la consommation de charbon qui reste quasiment au même niveau depuis des années, car il n’était pas possible de tout entreprendre en même temps.
Les Allemands ont un projet à plus long terme, pour lequel ils ont pris collectivement la décision non seulement de sortir de l’uranium mais aussi du charbon, et là depuis trois ans on voit que la consommation de charbon baisse, peut-être trop doucement, mais baisse. D’ici vingt ans les Allemands prévoient de sortir du charbon, comme ils sont sortis du nucléaire. Ils sont en chemin, ce n’est pas encore l’idéal mais ils sont dans la bonne direction. Contrairement à la France, les Allemands rament tous dans le même sens ; ils savent où ils vont. Ils sont dans le même bateau et ils y rament dans la même direction. Pendant ce temps, en France, nous avons une partie des Français qui sont pro-nucléaire qui prétendent que c’est l’avenir et passent leur temps à donner des arguments d’un autre temps. En face les anti-nucléaires affirment que le nucléaire c’est cher et dangereux. Tout cela fait que nous passons notre temps à combattre les uns contre les autres alors que nous ferions mieux d’aller tous dans le même sens. Pendant que les Français discutent, les Allemands, les Chinois et tous les pays du monde avancent.
PS : Jusqu’à quel point le modèle écologique allemand peut-il inspirer le modèle français ?
GL : Les Allemands sont partis. Ils sont en pleine transition énergétique et ils le prouvent. Depuis 2012 ils ont doublé l’énergie renouvelable qu’il y a sur leur territoire, ils vont clairement plus vite que nous. Mais ce qu’il est important de noter c’est qu’ils ont accéléré parce qu’ils ont arrêté le nucléaire.
PS : Pourquoi dites-vous qu’il faut-il impérativement arrêter le nucléaire pour développer les renouvelables ?
GL : Ce qu’il faut bien comprendre c’est la situation actuelle de surproduction d’énergie électrique en Europe. D’un côté la consommation d’électricité n’augmente plus. Il y a 10 ans, tous les grands producteurs énergétiques pensaient que nous allions consommer de plus en plus d’énergie alors que dans les faits, dans les pays de OCDE, la consommation n’augmente plus depuis 10 ans. De l’autre, tous les ans de plus en plus d’énergies renouvelables sont connectées au réseau, ce qui fait mécaniquement augmenter la production d’électricité. Etat donné qu’il n’existe aucun moyen rentable de stocker à grande échelle l’électricité, la surproduction est perdue, gaspillée, et les prix s’effondrent.
Ces prix bas font souffrir tous les grands énergéticiens Européens. Par exemple, le prix de l’action EDF a été divisé par 8 en 10 ans et EDF est sorti du CAC40. Mais EDF n’est pas le seul à souffrir, en Allemagne EON et RWE sont également en grande difficulté. Lors des périodes de surproduction, si les producteurs d’énergie n’arrêtent pas leurs générateurs, cela ne laisse aucune place aux nouveaux moyens de production.
PS : Pourquoi cela bloque-t-il les investissements dans les renouvelables ?
GL : Les banques financent ce qui est rentable ou subventionné. Or si les prix sont bas et que les Etats subventionnent de moins en moins le secteur de l’énergie, les banques savent bien que la rentabilité va être très difficile à trouver. Ceci explique que la surproduction et les prix bas, sont une très mauvaise nouvelle pour tous les acteurs de l’énergie. C’est pour cette raison, qu’après concertation, les Allemands ont décidé d’arrêté le nucléaire, cela a créé un appel d’air pour pouvoir mettre des énergies renouvelables.
Pendant ce temps là , en France, bien que la phrase phare du président Macron soit et en même temps, on ne peut pas faire du nucléaire et, en même temps, du renouvelable. Le Français a besoin de chauffer une seule fois l’eau chaude. Il va chauffer son eau chaude pour sa douche, une seule fois, au nucléaire ou au renouvelable ; il ne pourra pas faire en même temps l’un et l’autre. Il va falloir donc qu’on arrête le nucléaire pour laisser la place aux énergies renouvelables. Si la France laisse les deux, les prix vont s’effondrer et personne ne pourra financer la transition énergétique. Pour que les banques investissent, il faut une vision à long terme. Si la France maintien le nucléaire et qu’elle rajoute de l’énergie renouvelable, nous allons déboucher sur une incohérence.
Les Allemands ont fait ce calcul-là et ils ont arrêté le nucléaire. Dans un deuxième temps ils vont arrêter le charbon pour passer à 100% d’énergie renouvelable vers 2050. Pendant ce temps là , les Français attendent ce que va faire notre cher ministre Nicolas Hulot ; mais pour l’instant il produit de l’air chaud et peu d’action. Il reporte les échéances comme les engagements de la France sur la transition énergétique de passer à 50% du nucléaire d’ici 2025 qu’il reporte à 2030 ou 2035. Les acteurs de la transition énergétique lui font confiance pour l’instant, mais il existe des signaux faibles qui démontrent que cette confiance est largement écornée.