Interview/André Joffre : « Il y a des raisons d'être optimistes pour les cinq ans qui viennent »

Depuis plus de trente ans, André Joffre, PDG du bureau d’études Tecsol mais également président du pôle DERBI et de Qualit’EnR Å“uvre avec passion et détermination au développement de l’énergie solaire. Aujourd’hui et après quelques années fastes, l’énergie solaire semble se trouver dans une impasse en France. Explications, expertises et surtout moyens d’en sortir avec André Joffre, grand témoin de l’histoire solaire contemporaine !

Plein Soleil : Le soleil est en plein boom dans le monde. En France, il marque le pas sérieusement malgré les discours volontaristes de la ministre. Qu’est-ce qui ne va pas ?

André Joffre : Ce que nous vivons dans de nombreux pays d’Europe n’est pas spécifique au secteur de l’énergie, c’est la transformation numérique de l’économie (voir le rapport Lemoine récemment publié). Le modèle électrique, par exemple, qui fonctionne depuis des décennies de façon centralisé, satisfait nos concitoyens. Avec les énergies renouvelables, et plus généralement la multiplication des moyens de production, ce modèle est remis en cause. La décentralisation est à l’ordre du jour et le numérique va encore accélérer le phénomène. Il va se passer dans la distribution d’électricité le même phénomène que nous avons connu il y a trente ans avec l’informatique et Internet. Les grandes compagnies électriques devront revoir de fond en comble leur organisation comme IBM a su le faire en son temps.
Aujourd’hui ces compagnies sont entrées en mode « résistance ». Elles essayent de préserver leur modèle et plaident à Bruxelles et auprès des gouvernements nationaux, pour ralentir la progression des énergies renouvelables. En France, le phénomène est exacerbé, car l’Etat qui souhaite développer les énergies renouvelables, est aussi propriétaire à 85 % d’EDF. L’évolution pourrait venir, comme le suggère la Chancelière Angela Merkel, d’une privatisation partielle d’EDF, mais l’opinion française n’est pas encore prête à une telle révolution. On peut donc s’attendre à ce que l’Etat, soumis à des souhaits et des intérêts contradictoires, continue à prendre son temps pour répondre à l’urgence de la situation.
Pendant ce temps le marché du solaire progresse, cette année il devrait croitre de quelques 40 % au niveau mondial. Notre attentisme risque d’être fatal pour la fragile filière industrielle française au moment où les Etats-Unis réinstallent des unités de production sur leur propre sol.

« Les appels d’offres sont une forme de loterie »

PS : Les appels d’offres sont trop erratiques, les tarifs trop bas, l’autoconsommation en stand by dans l’attente des résultats d’une consultation achevée depuis des mois. Que faut-il faire alors que les dépôts de bilan se multiplient dans le secteur?

AJ : Les appels d’offres sont une forme de loterie et il n’est pas possible de bâtir une filière pérenne sur ce principe. La décroissance des tarifs pour les projets « au fil de l’eau » a été trop rapide car indexée sur le volume de projets envisagés, alors qu’un grand nombre d’entre eux ne verront jamais le jour Les professionnels ont été consultés à la fin de l’été sur une éventuelle réévaluation des tarifs, mais pour l’instant cela reste au niveau de la concertation, tandis que les entreprises disparaissent. Dans les ministères on préfère parler de « consolidation du secteur », ce qui signifie en d’autres termes la disparition des petites entreprises. Il faut rappeler que celles-ci sont exclues des appels d’offres, trop complexes pour elles, et sans tarif d’achat décent, elles n’ont plus de marché.

PS : Quel est votre point de vue sur l’affaire d’Arsac et des travailleurs détachés en Gironde qui porte un coup terrible à l’image de solaire ?

AJ : Cette affaire illustre l’effet pervers des appels d’offres. La recherche de prix très bas, pour avoir une chance d’être retenu, conduit les investisseurs à faire appel à des « travailleurs détachés » comme nous le voyons souvent sur les chantiers. Cela est inacceptable, dans notre pays où il y a tant de chômage et où tellement de jeunes souhaitent travailler dans le solaire. A minima, il faut introduire une clause sociale dans la notation des candidatures. D’une façon plus générale, il conviendrait «d’associer les Régions à l’instruction des projets » comme le souhaitait, dès janvier 2013, feu Christian Bourquin, l’ancien Président du Languedoc-Roussillon. Puisque, de par la loi, les Régions auront la compétence économique, il est logique qu’elles maitrisent les aides à ce secteur.

PS : Manuel Valls a prorogé lors du salon de la construction une dérogation moins contraignante (57,5 kWh m² par an contre 50) concernant la RT 2012 jusqu’au 1er janvier 2018. Quelles répercussions sur la filière solaire française ? Le BePOS n’est-il pas reporté aux calendes grecques ?

AJ : Il s’agit là d’une revendication ancienne des promoteurs, qui, il faut bien le constater ont beaucoup de mal à boucler leurs programmes. Si cela peut relancer la construction de logements c’est très bien.
Pour le solaire thermique, c’est évidemment une très mauvaise nouvelle. Il faut que des aides soient accordées lorsque les bâtiments sont plus vertueux que la norme en vigueur. Quant au BePOS, l’annonce de sa généralisation pour les bâtiments publics lors de la dernière conférence environnementale est une bonne chose, reste à connaitre les conditions précises de sa mise en Å“uvre
On peut considérer également que la baisse du prix du pétrole est une mauvaise nouvelle pour l’économie des renouvelables en général. C’est très bien pour le porte-monnaie des Français, mais c’est un très mauvais signal pour les économies d’énergie. C’est dans ces moments-là, lorsque nous sommes en situation de « contre-choc pétrolier », que l’Etat doit intervenir plus intensément pour contrarier la tendance naturelle à l’attentisme.

« Le problème de l’autoconsommation, c’est l’absence de cadre juridique »

PS : Où en est l’autoconsommation, où en sont les appels d’offres régionaux ?

AJ : La concertation de plus de six mois sur l’autoconsommation a permis de rapprocher des points de vus qui étaient très éloignés au départ. L’autoconsommation est une très bonne solution, qui n’impacte pas le réseau de distribution et qui correspond aux attentes de nos concitoyens. Chez les particuliers, la messe est dite, le modèle se développe de façon autonome. Le revers de la médaille, c’est l’absence de cadre juridique, et nous sommes très exposés à l’action néfaste des éco-délinquants qui sont déjà à l’Å“uvre. Là encore, l’Etat peut et doit intervenir. Nous avons investi dans la qualification de milliers d’installateurs « QualiPV -RGE» qui n’attendent qu’un cadre légal pour pouvoir intervenir.
Pour les installations collectives, quelques collectivités avant-gardistes ont initié des appels à projets et la plupart des Régions ont inscrit l’autoconsommation parmi les thèmes éligibles aux financements des fonds européens. Il y a donc des raisons d’être optimistes pour les cinq ans qui viennent. Reste que les conseils régionaux attendent que le cadre national soit défini, pour lancer des programmes de soutien sans pour autant générer des effets d’aubaine. Là encore la lenteur des décisions nationales n’arrange rien. Il faut noter que l’autoconsommation impacte moins la CSPE que le tarif d’achat traditionnel. Il faudrait donc en faire une priorité.

PS : En préambule, vous avez évoqué la relation énergie renouvelable et économie du numérique. Peut-elle à court terme soutenir la filière solaire moribonde ?

AJ : La baisse continue du prix du matériel solaire (malgré la tentative de la très libérale Commission Barroso de réglementer les prix des capteurs chinois) associée à l’autoconsommation permet aux marchés de se développer de façon extrêmement rapide comme on le constate en ce moment aux USA.
Ce que nous voyons arriver aujourd’hui, ce sont des plateformes telles que celle de Nest (thermostat acheté à grands frais par Google), d’Apple ou encore de Samsung, qui sont conçues selon une architecture ouverte pour permettre de tout gérer dans la maison. Dans le secteur de l’énergie ces outils permettront les échanges d’énergie d’origine renouvelable au niveau d’un quartier. Pour cela quelques verrous devront encore sauter. Le prix du transport de l’électricité, devra représenter les coûts réels et ne pas être facturé forfaitairement, sans tenir compte de la distance, comme c’est le cas aujourd’hui.
Ce que souhaitent les entreprises du digital, c’est une totale ouverture du marché qui permette aux kWh de circuler librement, à un prix maitrisé. Les services qu’apporteront les entreprises ne concerneront pas le transport proprement dit, mais les usages et la valeur ajouté qui sera apporté aux électrons.

PS : Pour finir comment voyez-vous 2015 pour la filière solaire avec les lauréats du CRE 3 qui risquent de n’être connus qu’en fin d’année ?

AJ : Les résultats de l’appel d’offre qui vient d’être lancé, seront connus au mieux dans un an. Ce qui signifie que le travail d’installation n’interviendra qu’en 2017. D’ici là les PME de filière, auront toutes disparu sauf si les tarifs d’achat pour les petites installations est revu rapidement à la hausse et/ou si les propositions du groupe de travail sur l’autoconsommation, qui sont sur le bureau de la ministre, entrent rapidement en vigueur. Il n’est pas trop tard pour bien faire. Les entreprises françaises, grâce à leur goût de l’innovation et leur capacité à imaginer des concepts nouveaux (en particulier digitaux) ont une carte à jouer au niveau international. Il faut pour cela leur donner un cadre clair et pérenne qui autorise une grande liberté d’action.

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