Par délégation des collectivités locales, ERDF remplit les missions de service public liées à la distribution de l’électricité sur le territoire français. C’est également à ERDF que revient le droit d’analyser et de réaliser les raccordements d’installations de production d’électricité photovoltaïque au réseau. Fin d’année 2009 et fin août 2010, le gestionnaire du réseau public de distribution, filiale à 100% d’EDF, a dû faire face à un afflux massif de demandes généré par la gestion erratique du développement du photovoltaïque en France par le gouvernement. De quoi durcir les conditions et jeter l’opprobre sur la filière : huissiers mandatés pour examiner les dossiers déposés, paiement de 100% du raccordement à la charge du producteur, suspicion de spéculation et de risques de black-out du réseau à cause du photovoltaïque. On fait le point avec Marc Bussiéras, directeur du Réseau !
Plein Soleil : Vos services ont noté un afflux de demandes de raccordement en cette fin du mois d’août. Etes-vous en mesure de les quantifier en nombre (- de 36 kWc et + de 36 kWc) et quelle puissance représentent-elles en MW ?
Marc Bussiéras : L’afflux de fin août concerne les projets de moyenne et forte puissance, plus de 36 kVA : nous finissions de vérifier la complétude des milliers de dossiers reçus en quelques jours, nous nous attendons à plus de 3000 dossiers complets et près de 600 MW qui s’ajoutent à un mois normal (200 MW). Les demandes des particuliers se sont inscrites sur la tendance antérieure (10 000 / mois), sans effet d’accélération propre au mois d’août, et représentent donc environ 30 MW. Au total, le seul mois d’août correspond à plus de 800 MW de demandes recevables, ce qui porte le total de demandes en cours d’études ou en travaux à environ 3.800 MW.
« Un tiers des dossiers incomplet »
PS : ERDF a mandaté des huissiers pour s’assurer de la complétude des dossiers. Combien de dossiers ont-ils ainsi été retoqués par vos services pour vice de forme ?
MB : Le traitement des milliers de dossiers reçus n’est pas terminé. Mais il apparaît que le tiers des dossiers des installations supérieures à 36 kVA est incomplet.
PS : Une liste d’attente de près de 4 GW est souvent évoquée pour justifier les mesures prises par le gouvernement pour freiner le développement du photovoltaïque. Quels sont les acteurs qui composent cette liste ?
MB : Il ne revient pas à ERDF de communiquer les noms des principaux porteurs de projets et les volumes correspondants.
PS : Le ministère, dans la droite ligne du rapport Charpin et du Grenelle de l’Environnement, évoque un seuil de 500MW par an pour la France. Comment ERDF va-t-elle pouvoir gérer ce seuil ? Les premiers arrivés seront-ils les premiers servis ?
MB : Il n’est pas de la responsabilité d’ERDF de définir un mécanisme de régulation des quantités : ceci relève des pouvoirs publics et du cadre réglementaire. Dans la réglementation actuelle, ERDF répond aux demandes au fur et à mesure de leur entrée.
PS : Dernier avatar en date pour le photovoltaïque, la volonté du gouvernement de faire payer 100% du raccordement aux seuls producteurs. Quels sont arguments développés par ERDF sur le sujet ?
MB : ERDF observe que, si les tendances actuelles se prolongent, le raccordement des producteurs va mobiliser des besoins d’investissements considérables sur les réseaux, financés de façon très majoritaire par ERDF (70 % au moins au total, les producteurs finançant 60 % du raccordement, et une part négligeable du renforcement). ERDF s’inquiète de la capacité à financer ces besoins par le Turpe, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité c’est-à -dire par les consommateurs, alors qu’il nous faut déjà solliciter le consommateur pour engager des montants conséquents consacrés au renouvellement du patrimoine et à l’amélioration de la qualité du service. Seconde remarque, le fait que les producteurs ne paient que très partiellement l’impact de leurs installations sur le réseau, et que de plus le renforcement reste quasiment intégralement à notre charge, ne les incite pas à localiser leur production là où existent des capacités d’accueil du réseau.
« La production photovoltaïque est peu synchrone avec les besoins de consommation importants »
PS : Michèle Bellon, votre présidente, a évoqué au début de l’été des risques de coupures et de black-out complet par surtension à cause du photovoltaïque alors que d’aucuns évoquent davantage un soutien au réseau. Où en sont vos recherches autour des smarts grids pour justement parvenir à des équilibres de gestion du réseau ?
MB : Malgré notre mobilisation et celle de nos homologues, celles des équipes de recherche et développement, celle des constructeurs, il n’existe pas aujourd’hui de solution industrielle satisfaisante qui permette d’éviter un renforcement substantiel de nos réseaux pour accueillir un grand volume de production. En effet, la production d’électricité photovoltaïque est principalement raccordée sur un réseau basse tension de capacité ajustée aux besoins de consommation, alors que la production photovoltaïque est peu synchrone avec les besoins de consommation importants , ni sur le plan spatial (zones urbaines, où existent les capacités d’accueil robustes), ni sur le plan temporel (début de soirée en hiver) On constate aussi que sur des systèmes insulaires où la pénétration de productions intermittentes est élevée, il n’existe guère de solution technique qui évite des déséquilibres importants sur les réseaux.
PS : Un mot pour conclure ?
MB : Les éléments techniques de réponse que nous vous apportons ne doivent pas créer d’ambiguïté sur nos postures : le développement des ENR, comme demain celui du véhicule électrique, est une très belle opportunité pour les gestionnaires de réseau de distribution. Le réseau prend une dimension et une responsabilité nouvelles dans la transition de nos sociétés vers une société dé-carbonée, c’est le futur de notre métier qui se dessine, et nous nous y engageons avec envie. Notre préoccupation est de réunir, avec l’ensemble des parties concernées, les meilleures conditions d’intégration au réseau pour ces nouvelles productions et nouveaux usages, avec des défis techniques et économiques qui sont bien réels.