Le 4 novembre dernier, le bureau d’études Tecsol organisait une conférence consacrée à l’autoconsommation et à la mutualisation énergétique. Près de 150 personnes ont assisté aux débats et tables rondes. A travers les différentes approches techniques, économiques, juridiques, fiscales ou politiques, l’autoconsommation est apparue comme un relais de croissance crédible et plausible pour le secteur du photovoltaïque. A quelques conditions près tout de même
Se servir de l’histoire pour anticiper le futur, telle est la sagesse des gens d’expérience. Et autant dire que dans le secteur du solaire André Joffre, PDG du bureau d’études Tecsol présent sur le marché depuis trente ans, ne manque pas d’expertise. Et que dit l’histoire ? En 1845, une pétition des fabricants de bougie a été introduite à la chambre de députés par les fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs, et des producteurs de suif, huile, résine, alcool, et généralement de tout ce qui concerne l’éclairage. Elle était soutenue par Frédéric Bastiat, député des Landes : « Messieurs les Députés, nous subissons l’intolérable concurrence d’un rival étranger, pour la production de la lumière, aussitôt qu’il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s’adressent à lui. Une branche d’industrie française est frappée de la stagnation la plus complète. Ce rival, qui n’est autre que le soleil. Nous demandons qu’une loi ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes par lesquelles la lumière du soleil pénètre dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous avons doté le pays ». L’impôt sur les portes et fenêtres institué en 1798 ne fut supprimé qu’en 1926. « Toute ressemblance avec des situations existantes ne saurait être que fortuite » indique alors André Joffre qui à travers cette histoire montre combien l’autoconsommation est susceptible de faire peur aux grands opérateurs énergétiques monopolistiques européens mais laisse aussi à penser que les chausse-trappes ne manqueront certainement pas sur le chemin de nouveau paradigme énergétique.
Un cadre juridique largement perfectible
Justement en matière de chausse-trappes, Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement a donné le la. Certes, une délibération de la CRE du 20 décembre 2012 estime que « l’autoconsommation qui reste aujourd’hui découragée par un tarif d’achat largement supérieur au prix de vente de l’électricité, peut dans certains cas être bénéfique au système électrique. Par conséquent, une réflexion pourrait être engagée pour trouver un dispositif de soutien qui incite à l’autoconsommation lorsqu’elle est bénéfique au système électrique, sans augmenter, voire en diminuant les charges de service public». Reste que selon les différentes approches de l’autoconsommation, la profession se trouve dans le désert en matière de définition en droit : « Nous n’avons pas de définition de double utilisateur du réseau (TURPE), pas de définition au titre de l’obligation d’achat, pas de régime juridique du stockage de l’énergie de source renouvelable, pas de prise en compte par les S3RENR (raccordement), ni de régulation par la directive de 2012 sur l’efficacité énergétique ou en droit de l’urbanisme. Un gros travail reste à mener » estime Arnaud Gossement. On le voit l’autoconsommation ne dispose pas encore pour l’heure d’un cadre juridique et administratif propice à son épanouissement.
L’Ademe réfléchit à un soutien à l’autoconsommation
Pourtant, les conditions technico-économiques de son application deviennent aujourd’hui de plu en plus évidentes. « La baisse des prix du photovoltaïque, même si elle est ralentie, apparaît comme inexorable. Il s’agit d’une industrie de transformation et les coûts des produits diminuent avec les volumes » indique André Joffre. En régime de concurrence établie les prix se rapprochent des coûts. De plus, les principales matières premières utilisées dans l’industrie photovoltaïque sont de faible valeur (Si, verre, aluminium). Dans le même temps, l’évolution des prix d’achat de l’électricité réseau ne fait plus aucun doute. Pour l’heure, la France dispose encore d’un kWh parmi les meilleurs marchés d’Europe dû à la rente nucléaire qui fond comme neige au soleil du réchauffement climatique. « La CRE a annoncé une hausses du prix de + 30% d’ici 2017, une commission du sénat de + 50% d’ici 2020 soit +5 à +6 % par an. Les courbes ne vont tarder à se croiser. En ligne de mire la parité réseau » analyse Jean-Yves Quinette, ingénieur au bureau d’études Tecsol. Reste que pour l’heure et dans la grande majorité des cas, et comme le notait la CRE, il est encore plus intéressant de revendre que de consommer. Pour infléchir les modes de consommation de l’électricité solaire, l’Ademe réfléchit à des systèmes d’aides à l’autoconsommation. A la clé : de nombreux enjeux. « Aider l’autoconsommation photovoltaïque relève d’un dispositif gagnant-gagnant. Pour le producteur, cela signifie pas de déconnexion et une rentabilité avérée de son installation PV. Pour le gestionnaire de réseau, des impacts réseaux limités et maîtrisables. Et pour la collectivité, cela représente un coût inférieur au tarif d’achat actuel avec moins d’électricité consommée depuis le réseau. Dans les DOM, l’autoconsommation réduit d’autant la péréquation » explique David Marchal Chef de service adjoint Réseaux et Énergies Renouvelables à l’Ademe. Reste que toute politique de soutien doit demeurer équilibrée. Elle doit en effet rester incitative pour le déploiement du PV tout en évitant d’induire des comportements non vertueux. « Il serait désastreux par exemple qu’un tel dispositif encourage les gens à acheter une climatisation pour l’été, en période de production intense » reconnaît Thierry Salomon, président de l’association Négawatt.
Anticiper l’effet rebond
C’est un truisme. L’autoconsommation doit être envisagée comme un dispositif encourageant l’économie d’électricité via notamment la sensibilisation à la facture EDF restante. Sur le plan sociologique, en tous les cas, l’autoconsommation correspond aux attentes des consommateurs. On note un fort intérêt des maitres d’ouvrage pour consommer leur propre énergie. Même si ce n’est pas toujours pour les bonnes raisons. « On peut rencontrer des gens qui dès lors qu’ils produisent se disent qu’ils peuvent consommer à profusion. On est alors à l’inverse de ce que l’on pourrait attendre. L’objectif c’est quand même l’économie de la consommation et l’on se retrouve avec des gens qui consomment davantage. C’est ce que l’on appelle l’effet rebond ou l’effet pervers. Reste à créer une vraie culture autour de ces notions d’autoconsommation d’énergie en accompagnant les utilisateurs, en le prenant par la main » insiste Marie-Christine Zelem, enseignante-chercheur en sociologie au CNRS de Toulouse.
Autre grand enjeu de l’autoconsommation, son impact positif sur le réseau électrique avec la réduction des pointes ainsi qu’un allègement et une stabilisation du réseau. Sur ce point Laurent Bertier, responsable réseau ERDF Méditerranée, a quelque peu refroidi l’assistance. Il a surtout mis en exergue les contraintes de tension que peut générer l’autoconsommation sur le réseau basse tension. « La puissance appelée à la pointe ne change guère. Le réseau est aussi mobilisé pour évacuer la puissance excédentaire à certaines heures de l’année. En fait le réseau continue à apporter la tenue de tension et de fréquence. L’autoconsommation peut induire un renforcement du réseau. Cependant pour en limiter certains renforcements, il faudrait synchroniser les flux de production et de consommation ce qui n’est pas naturel. Cela pourrait être obtenu par du stockage thermique ou électrique dans des batteries et notamment dans un véhicule électrique ou de l’effacement à la pointe » explique l’ingénieur. Pour les gestionnaires de réseau, l’autoconsommation ne va pas de soi. Et l’on mesure là des freins possibles à son développement.
Un financement inédit de l’autoconsommation en Aquitaine
Si le gouvernement semble pour l’heure très timide quant au développement de l’autoconsommation photovoltaïque, les régions, dans leur volonté d’expérimentation et d’autonomie énergétique, s’y intéressent. C’est notamment le cas de la région Aquitaine qui a lancé un appel à projets sur le sujet. Avec des objectifs très précis. Sur le plan financier l’autoconsommation permet de sortir du tarif de rachat peu lisible et pas pérenne, de globaliser une solution investissement/exploitation et de sortir du dogme de l’intégration chère. Sur les aspects énergétiques, elle permet de maintenir voire d’améliorer le service, de recourir à une solution alternative et de maîtriser les consommations électriques. « L’autoconsommation préparer la transition énergétique en intégrant le concept Smart Grid tout en donnant de nouveaux horizons à la filière PV » assure Pascal Latorre, ingénieur spécialiste à la région Aquitaine. Cet appel à projet régional concerne les opérations de production d’électricité d’origine photovoltaïque autoconsommée et connectée au réseau sans revente d’électricité. Les équipements photovoltaïques devront être installées sur des bâtiments publics ou privés, neufs ou existants, s’inscrivant dans une approche globale d’efficacité énergétique du bâtiment et environnementale de l’activité. Il s’adresse aux maîtres d’ouvrage suivants : Collectivités locales et leurs groupements ou activités tertiaires publiques ou privés (entreprises, bailleurs sociaux). Il concerne les projets de puissance installée comprise entre 10 kWc mini et 250 kWcmaxi avec 2/3 d’autoconsommation électrique intégrés ou pas (au sens des textes). L’originalité de cet appel à projets repose sur le mode de financement des projets en autoconsommation. Exit le tarif de rachat sur 20 ans ! La région n’a pas opté pour une intervention à l’investissement mais sur un soutien spécifique et adapté à un projet économique basé sur la production électrique photovoltaïque garantie sur 25 ans. « Le soutien final est calculé sur le différentiel du coût de la fourniture d’électricité entre le réseau et l’installation PV jusqu’à la parité réseau. Nous ne sommes pas la surenchère. L’idée est de ne pas subventionner des projets déjà rentables » assure Peggy Kançal, l’élue en charge du Plan Energie Climat à la Région. Ce premier appel à projets compte huit lauréats. La deuxième vague d’appel à projets lancée vers novembre devrait voir une montée en régime. « La Région Aquitaine lance un message clair aux acteurs du secteur. La région compte déjà des bâtiments BePOS. Mais il est aujourd’hui difficile de trouver des financements pour réaliser ce type de bâtiment. Nous sommes là justement pour impulser la dynamique, pour ne pas inverser la donne et maintenir le marché local. Avec en ligne de mire de ce soutien à l’autoconsommation, l’autonomie énergétique du territoire » conclut Peggy Kançal.